• "L'Obs" publie les réflexions et témoignages des citoyens qui nous ont écrit pour nous raconter leur histoire

    "J'ai été migrant" : l'immigration a sauvé la France. L'oublier, c'est insulter l'Histoire

     

    Par Séverine Najar
    Internaute

    LE PLUS. "J'ai été migrant", c'est la une que "L'Obs" a publié le jeudi 3 septembre. Depuis, nous publions les réflexions et témoignages des citoyens qui nous ont écrit pour nous raconter leur histoire. Aujourd'hui, Séverine Najar revient sur celle de sa famille, de son conjoint mais aussi sur l'Histoire de France, que certains tendent à oublier. Témoignage.

    Édité et parrainé par Henri Rouillier 

    "L'Obs" publie les réflexions et témoignages des citoyens qui nous ont écrit pour nous raconter leur histoire

    Des migrants dorment sur des trottoirs près de la porte de la Chapelle à Paris, le 13 juillet 2015 (G. VILLEMIN/AFP).

    Je suis consciente depuis longtemps que ce sont les histoires individuelles qui ont permis et permettent encore de construire la grande histoire de la France. C’est pour cette raison que j’ai choisi de témoigner aujourd’hui : je trouve que les médias ne se font pas suffisamment l’écho de cette réalité.

    Des discours politiques qui surfent sur l’angoisse 

    L’actualité, telle qu’elle est formulée aujourd’hui quand on parle des migrants ou des réfugiés, ne se concentre que sur les crispations, les conflits et les polémiques.

    Les médias sont générateurs de discours qui installent une angoisse, une peur et parfois de la haine. Des discours qui donnent lieu à des récupérations politiques du pire effet, quand il faudrait simplement pouvoir dire sereinement ce qu’est la France, et que la question de l’immigration concerne chacune de nos histoires personnelles.

    Leur histoire, c’est l’histoire de ma famille 

    Ma grand-mère maternelle est née en Italie. Elle est arrivée en France à l’âge de 14 ans, fuyant la misère. Elle a travaillé toute sa vie, fait des ménages, été ouvrière, aide-cuisinière. Elle a aussi travaillé dans un hôpital. Elle est devenue française en épousant mon grand-père. De son côté, mes arrière-grands-parents étaient espagnols.

    Quand on me parle de la situation des réfugiés et des migrants, quand je lis les témoignages de ces gens qui sont arrivés sur le sol français depuis peu de temps, je me sens profondément concernée. C’est l’histoire de ma famille et de ces générations qui m’ont précédée. C’est aussi une spécificité de la France.

    Mon conjoint est né en Algérie. Il a gagné la France à l’âge de 18 mois avec sa mère dans le cadre du regroupement familial. Mon beau-père travaillait à l’époque en Alsace, après avoir combattu pour la France lors de la Seconde Guerre mondiale, au sein des tirailleurs marocains. Leur histoire a rejoint celle – régionale – de l’Alsace…

    L’immigration a sauvé la France 

    Dans l’histoire contemporaine de la France, on ne peut pas mettre de côté l’immigration. La France s’est construite avec ces vagues qui ont fait, au fil du temps, sa richesse. Et puis l’histoire de l’immigration, c’est aussi celle des ouvriers qui sont venus aider à la reconstruction du pays au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Sans eux, nous n’aurions pas réussi. La richesse économique, industrielle, économique et culturelle de la France est dépendante de l’immigration.

    N’en déplaise à certains, la France d’aujourd’hui s’est davantage construite sur  les valeurs universelles qui font notre devise, que sur des valeurs religieuses. Notre texte de référence est la Constitution. Nous avons hérité de la Révolution française et de la Résistance. Ces moments de l’histoire sont porteurs de combats et d’aspirations autour desquels ceux qui veulent aujourd’hui venir en France se retrouvent.  Le nier n’a aucun sens.

    Nous sommes un peuple solidaire 

    J’arrive à dire cela parce que je me suis moi-même construite avec ces références. Passionnée par l’histoire de la Résistance, j’ai conscience de l’héritage politique qui nous a été légué.

    Le fait d’avoir pu en parler avec des personnalités incroyables, comme Lucie Raymond-Aubrac, m’a apporté cette réflexion. Nous sommes initialement un peuple solidaire, quand nous sommes confrontés à quelque chose de terrible, nous nous rassemblons. Nous resserrons nos liens.

    Nous pouvons vivre ensemble 

    Je peux entendre les arguments parfois racistes et xénophobes de certains commentateurs, qui se disent anti-immigration. On doit les entendre. Pourquoi ? Parce qu’il faut être capable de leur apporter des réponses. Il faut leur répondre avec des éléments factuels : les immigrés viennent travailler en France. En travaillant, ils paieront des impôts et contribueront ainsi à l’intérêt général. Ils vont contribuer à la richesse de notre pays.

    N’oublions pas ce paradoxe bien français, qui doit pouvoir nous redonner de l’espoir : nous sommes un pays crispé sur la question de l’immigration mais il n’y a jamais eu autant de mariages mixtes sur notre territoire. Preuve que nous pouvons effectivement vivre ensemble. C’est en cela que je trouve que nos politiques manquent de cohérence, et qu’on n’accorde définitivement pas assez de place à la parole des citoyens sur ce genre de question.

    De point de vue de l’histoire de France, on ne peut qu’accueillir ces personnes. Nous sommes passés par là.

    Propos recueillis par Henri Rouillier .   

     http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1423959-j-ai-ete-migrant-l-immigration-a-sauve-la-france-l-oublier-c-est-insulter-l-histoire.html  

     

     

    "L'Obs" publie les réflexions et témoignages des citoyens qui nous ont écrit pour nous raconter leur histoire

    "J'ai été migrant" : comme Aylan, j'ai fui l'oppression

    avec les poches remplies d'espoir

    Avatar de Joao Manuel Da Cruz

    Par 
    Citoyen

    LE PLUS. "J’ai été migrant". C’est le titre qui figure en une de "L’Obs" en kiosque cette semaine. Notre magazine a décidé de consacrer un dossier à ces hommes et ces femmes qui ont rejoint la France et s’y sont intégrés. Des parcours de vie qui font écho à l’histoire Joao Manuel Da Cruz. Alors qu'il avait 5 ans, sa famille a fui le Portugal et la dictature de Salazar. Témoignage.

    Édité par Sébastien Billard 

    Ma famille est originaire d’un petit village non loin de Porto, qui s’appelle San Pedro Da Cova. Mon père était soudeur dans une mine de charbon.

    Mon père est parti en premier

    Un jour de 1966, il a décidé, avec quelques-uns de ses cousins, de quitter le Portugal pour la France, suivant le chemin que certains de ses proches avaient pris avant lui. Tous voulaient fuir la dictature de Salazar et vivre des jours meilleurs. À l’époque, il y avait du travail en France.

    Mon père et ses cousins ont essayé une première fois de quitter le Portugal. Ils ont été arrêtés et détenus à la prison de Vila Real pendant 23 jours, parce qu’il était interdit de quitter le pays sous Salazar.

    Le jour de leur libération, ils sont revenus au village le temps de se laver et prendre des vêtements propres, et ils ont retenté leur chance le lendemain même. Cette fois-ci a été la bonne, ils ont mis deux semaines à gagner la France, et la ville de Troyes, où il s’est installé.

    Un jour, ma mère a sorti mes plus beaux habits

    Ma mère et moi sommes restés au village, chez mes grands-parents. Un matin de l’année suivante – je m’en souviens comme si c’était hier, même si j’avais 5 ans –, elle m’a habillé avec mes vêtements du dimanche, elle a réuni la famille et elle a commencé à dire au revoir à tout le monde.

    Les adultes pleuraient. Je n’ai pas compris tout de suite ce qui se passait. J’avais beau poser des questions, personne ne me répondait.

    Nous avons pris un train jusqu’à la ville de Famalicao, où tout un groupe de personnes nous attendait. Parmi eux, un homme, qui était notre passeur. Des années plus tard, j’ai appris qu’il y avait dans ce groupe une femme et ses trois enfants qui faisaient partie de notre famille. Elle voulait aussi quitter le Portugal pour rejoindre son mari, le cousin de mon papa.

    Nous voyagions de nuit, pour ne pas nous faire arrêter

    Entre le Portugal et l’Espagne, nous voyagions la nuit, dans l’espoir d’éviter la garde nationale républicaine et la police espagnole. La journée, nous nous réfugiions dans des caves ou des granges… dans le plus grand silence. À la nuit tombée, nous sortions de nos trous et nous marchions à travers champs, forêts… cours d’eau. Et ce pendant des heures.

    Je me rappelle d’une anecdote à ce sujet. J’étais un petit garçon, donc il arrivait que ma mère me porte sur de longues distances. Un jour, le passeur a voulu la soulager et me prendre dans ses bras. J’ai hurlé parce que je ne voulais pas. Après tout, je ne le connaissais pas. Il m’a pris quand même et nous avons essayé de franchir une petite rivière. Il est tombé dans l’eau, et moi avec.

    Aujourd’hui, j’y repense en rigolant, mais à l’époque, nous n’avions qu’une seule peur : celle d’être arrêtés et jetés en prison.

    De Paris à Troyes, avec en poche, l’adresse de mon père

    Nous avons mis huit jours pour gagner Hendaye. Arrivés là-bas, nous avons pris le train pour rejoindre Paris, l’étape obligatoire avant Troyes, où mon père travaillait.

    Dans le train, tout le monde nous regardait bizarrement parce que nos vêtements portaient les stigmates du voyage que nous avions fait auparavant. Ils étaient parsemés de ces petites boules qui s’accrochent au tissu quand on les frôle. Peut-être pensaient-ils que nous étions malades, ou que nous avions des poux. Je ne sais pas.

    Nous sommes arrivés à Paris, avec en poche un petit billet sur lequel était inscrite l’adresse de mon père à Troyes, et celle de la gare de l’Est. Si bien qu’à la capitale, nous avons montré ce morceau de papier aux Parisiens en leur demandant notre chemin vers le prochain train.

    Chacun d’entre nous regardait, hagard, en pointant le sol du doigt. Nous avons mis un certain temps avant de comprendre qu’ils nous disaient de prendre le métro…

    J’ai construit toute ma vie ici

    Nous avons fini par arriver en gare de Troyes. Je me rappellerai toute ma vie d’avoir descendu la grande avenue du général de Gaulle, émerveillé, avec la sensation d’être enfin arrivé au paradis. Nous avons retrouvé mon papa, qui travaillait déjà depuis quelques temps à l’usine Kléber. Il avait trouvé un appartement, et tout allait bien pour lui.

    Nous nous sommes mis en quête d’un logement où nous pourrions vivre tous les trois, ainsi que d’un emploi pour ma mère. Elle en a trouvé un très rapidement au sein d’une teinturerie, puisque Troyes était la capitale de la bonneterie et du textile.

    Plus tard, ma petite sœur est née. Elle a grandi ici, avant de retourner au Portugal avec mes parents. Quelque part, elle a fait le chemin inverse. Moi, je suis resté ici. J’ai fait toute ma vie à Troyes.

    À la vue de cette photo, je n’ai pas pu retenir mes larmes

    J’y ai rencontré ma femme, qui a elle aussi fui Salazar avec ses parents. Nous avons construit notre vie ici en France, sans jamais oublier d’où nous venions, même si nous nous sentons profondément français aujourd’hui.

    Il y a quelques jours, j’ai vu la photo du corps de ce jeune garçon syrien, âgé de trois ans. Il était échoué sur une plage turque de Bodrum. Tout de suite, les larmes sont venues. J’ai pleuré. J’ai 53 ans. L’histoire de cet enfant n’est pas la mienne mais les similitudes sont grandes. Nous avons fui la guerre et l’oppression, avec dans nos poches, de l’espoir.

    Je voudrais que la France se mobilise, on ne peut pas laisser ces gens mourir à nos frontières.

     
     
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