• « Le seul animal qui torture » de Jacques Julliard

    « Le seul animal qui torture » de Jacques Julliard

    http://www.marianne.net/Le-seul-animal-qui-torture_a243460.html

    J’aurais pu, je l’avoue, choisir un sujet plus gai en cette veille de Noël. Mais, dans un monde qui se « modernise » et se déshumanise au même rythme et dans le même mouvement, c’était ma façon de dire non à ce monde-là et « Paix sur la Terre à tous les hommes de bonne volonté ». 

    Les Etats-Unis viennent d’avouer une grande honte et de rendre au monde un grand service. La honte, c’est d’avoir bafoué au plus haut niveau leurs valeurs et leurs institutions ; le service, c’est d’avoir posé au grand jour la question la plus systématiquement éludée de nos temps modernes, la question de la "question".

    En reconnaissant publiquement, par la voie du rapport de Dianne Feinstein, que la CIA, conformément aux instructions de George W. Bush et de Dick Cheney, ces deux gredins, avait torturé pendant des années des prisonniers au lendemain du 11 septembre 2001, les Etats-Unis viennent d’avouer une grande honte et de rendre au monde un grand service. La honte, c’est d’avoir bafoué au plus haut niveau leurs valeurs et leurs institutions ; le service, c’est d’avoir posé au grand jour la question la plus systématiquement éludée de nos temps modernes, la question de la « question ».

    A la fin du XIXe siècle, la torture avait été pratiquement éradiquée de l’Europe occidentale – mais non de ses colonies – tandis qu’elle sévissait encore partout à travers le monde. Au début du XXIe, ce n’est pas le monde qui a rejoint l’Europe dans la civilisation, c’est cette dernière qui a rejoint le monde dans la barbarie. Car, entre-temps, l’Europe a connu les abominations du nazisme et du communisme, et la France a torturé en Algérie non 120 suspects comme les Etats-Unis, mais des dizaines de milliers de combattants algériens durant la guerre de décolonisation (1954-1962). Et, à la différence de ceux-là, la France n’a jamais rien reconnu, jamais rien avoué. S’il est un domaine où nous n’avons pas de leçons à donner, c’est bien celui-là.

    Dans son apologie de la torture, qu’elle a précipitamment désavouée ensuite, Marine Le Pen nous a refait le coup du « tic-tac, tic-tac », le mouvement d’horlogerie de la bombe cachée qui s’égrène, alors que l’on a entre les mains celui qui sait où elle se trouve : qui n’essaierait alors de le faire parler ?
    A cela près que cet argument imparable, que l’on m’a resservi des centaines de fois, n’existe pas : je doute que, durant toute la guerre d’Algérie, de pareilles circonstances se soient jamais produites.

    La torture est-elle efficace ? Cela dépend pour quoi. La grande rupture s’est opérée au XXe siècle, quand cette torture, qui, au Moyen Age et aux Temps modernes, était surtout appliquée aux criminels de droit commun, a été transformée en arme politique. Certes, il y avait déjà eu l’Inquisition, qui en faisait un usage idéologique ; mais ce fut une exception. A la fin du XVIIIe siècle, le juriste italien Cesare Beccaria, ami de Voltaire et de Diderot, publie son fameux traité Des délits et des peines (1764) qui fut le manifeste des abolitionnistes. Et c’est Louis XVI, à la fin de l’Ancien Régime, qui abolit la torture dans le droit pénal français.

    Mais c’est le XXe siècle qui, en faisant de la politique une affaire idéologique, a remis au goût du jour le viol des consciences et la contrainte des corps. En faisant de l’élection une question de choix entre des philosophies politiques différentes, la démocratie a paradoxalement ouvert la voie à toutes les formes de pression, d’intimidation, de contrainte sur les individus. Le leader démocratique a besoin de l’adhésion du peuple non à une dynastie, mais à un système intellectuel. Le tyran totalitaire ne fait que pousser cette idée à sa dernière conséquence, en exigeant du peuple tout entier l’adhésion à ses propres idées, au besoin en l’y contraignant. La torture est au bout de cette logique. Ajoutez-y la substitution de la guérilla à la guerre classique, qui fait de la recherche de l’ennemi un objectif aussi important que sa destruction. D’où l’éventail des formes de la torture moderne.

    >>> La torture liée à la guérilla, celle qu’ont subie les résistants français de la part des nazis, et des combattants algériens de la part de l’armée française. Il s’agit avant tout de démanteler des réseaux clandestins, en faisant avouer des noms, et découvrir des réseaux.

    >>> La torture stalinienne, à des fins de propagande. En arrachant de faux aveux aux accusés, il s’agit de leur faire proclamer publiquement lors de procès à grand spectacle la légitimité de leur élimination et les bienfaits du système totalitaire.

    >>> La torture à la chinoise, qui pousse la logique stalinienne à ses ultimes conséquences, en obligeant la victime à élaborer le réquisitoire contre elle-même, et à se faire son propre bourreau.

    >>> La torture à la syrienne d’aujourd’hui, qui vise avant tout à terroriser toute une population. Il ne s’agit pas de faire avouer quoi que ce soit, mais de punir l’insurgé. A quoi il faut ajouter dans la plupart des guerres idéologiques la pratique systématique du viol, pour humilier et terroriser.

    De toutes les abominations dont l’homme est capable, la torture est sans conteste la pire de toutes, car elle vise à détruire la notion même de l’humanité à l’intérieur de l’espèce. On ne torture jamais son semblable, mais un être à qui l’on dénie cette qualité : c’est pourquoi l’homme est le seul animal qui torture. Ce n’est pas pour rien que, pour s’autoriser les traitements qu’ils infligeaient à leurs victimes, les nazis avaient besoin de traiter les juifs et les Tsiganes de « sous-hommes », les staliniens leurs adversaires idéologiques de « vipères lubriques » et de « rats visqueux », et les islamistes de ravaler les non-musulmans au statut de marchandise. La torture et le racisme s’engendrent mutuellement dans un déni d’humanité.

    J’aurais pu, je l’avoue, choisir un sujet plus gai en cette veille de Noël. Mais, dans un monde qui se « modernise » et se déshumanise au même rythme et dans le même mouvement, c’était ma façon de dire non à ce monde-là et
    « Paix sur la Terre à tous les hommes de bonne volonté ».

    Jacques JULLIARD

     

    « Jean-Pierre Dorchain, habitant Besançon a souhaité nous retracer son parcours en Algérie dans les années 1961-1962 *** MISE A JOUR 23/12/2014Décès de Jacques Chancel "Quand l'homme de médias se confiait à Match... Avoir 20 ans en Indochine" Pour terminer Jacques Chancel rend hommage à Georges Brassens »

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