• Lettre à Madame Jacques de Bollardière *** « Qui sont mes frères ? Qui sont mes soeurs ? » du Docteur Jean de Monbrison

     

     

     

    Hier 13 mai 2016 je recevais ce message

    du Docteur Jean de Monbrison :

     

    Ancien rappelé en mai, juin 1956

    à Bouderbala  

     

     

     

     

     

            

     

    Cher Michel.
    Depuis qu'un ami maghrébin m'a fait découvrir que tu as mis sur le net ma lettre adressée à Madame Jacques de Bollardière à l'occasion de la mort de Jean-Jacques Servan Schreiber, j'ai cherché à te joindre pour te remercier et ceci sans succès. Mes appels étaient adressés par erreur à Michel Dandelot, ton homonyme !
    En remettant à jour QUI SONT MES FRERES, QUI SONT MES SOEURS, je préfère prendre ton script bien plus clair avec photos à l'appui.
    J'y ajoute des Post faces sur les 37000 Maghrébins morts pour la France durant la Grande Guerre et les milliers morts pour la France durant la Guerre de 40, la reconquête, la Guerre du Vietnam sans aucune reconnaissance de notre part.
    Je suis, comme toi, particulièrement marqué par tout ce que j'ai appris sur ce qui s'est passé à Sétif, Guelma et autour dans les années qui précédèrent le 8 mai 45 et les atrocités qui suivirent, y compris sous le commandement du général Duval, mis en place par le Gl de Gaulle, y compris les prédictions du Gl DUVAL, si on ne changeait pas de politique...
    Les 20 ou 25000 Français morts durant la Guerre d'Algérie ne sont pas morts pour la France, mais ont été trompés par le gouvernement en place et par la Métropole qui a laissé faire.
    Merci, cher Michel pour ton travail, ta fidélité à l'essentiel notre devoir d'homme et de réelle fraternité.
    Je suis, comme toi, ami des 4ACG, impliqué durant mon rappel et depuis ma démobilisation en janvier 57 dans la lutte pour l'Indépendance de l'Algérie et la reconnaissance de notre faute dont nous ne cessons de payer les conséquences.
    J'appuis à fond tout ce que fait Benjamin Stora pour le rapprochement des peuples maghrébins et français qui ont un passé commun si douloureux certes, mais si riche en perspective, si nous reconnaissions nos devoirs envers eux.
    Jusqu'à la mort de Germaine TILLION, nous étions, mon épouse et moi très liés à ses combats, dont celui pour l'Indépendance de l'Algérie et le droit d'étudier en prison.
    Je me ferai une joie, si tu le veux, de t'adresser une copie de QUI SONT MES FRERES, QUI SONT MES SOEURS, alors que c'est un travail toujours plus difficile pour moi.
    Périarthrite scapulo-humérale bilatérale et surtout perte de ma mémoire....
    Bien à toi et encore merci.
    Jean de Monbrison

     

     

     

    -- envoyé par jean de monbrison (j-ch-monbrison@wanadoo.fr)

     
           

     

     

    Lettre à Madame Jacques de Bollardière

    Lettre à Madame Jacques de Bollardière

    Jean de Monbrison a été rappelé en Algérie dans une unité voisine de celles du Général Jacques de Bollardière et de Jean-Jacques Servan Schreiber. A l’occasion du décès de ce dernier, tout en racontant ce qu’il a vécu lui-même là-bas, il dit à Madame de Bollardière son admiration pour son mari.

     

    Lettre à Madame Jacques de Bollardière

    La mort de Jean-Jacques Servan-Schreiber me met en devoir de vous écrire, sans plus attendre, ma profonde reconnaissance et mon profond respect pour les combats menés par votre mari. Sa fidélité, quoiqu’il lui en coûtât, à des valeurs auxquelles on ne peut déroger furent à son honneur et sauvèrent en quelque sorte l’honneur de la France et surtout celui de l’Humanité.

    Il y a de très nombreuses années que je voulais vous l’écrire et c’est avec émotion que je vous l’écris aujourd’hui à l’occasion du décès de Jean-Jacques Schreiber. J’avoue avoir honte de ce retard mis à vous écrire et ce n’est pas faute d’y avoir pensé.

    J’ai été rappelé en Algérie comme sous-officier en mai 1956, suite à l’embuscade où le sous-lieutenant Arthur trouva la mort avec la majorité de ses hommes à uled Djerrah, petit village situé au-dessus des gorges de Palestro. C’est notre bataillon qui prit en charge cette région et ma compagnie s’installa à quelque 14 kms de Palestro (aujourd’hui Lackdarria) sur la route de Blida. Le village s’appelait Bouderbalah et n’a pas changé de nom.

    En poursuivant cette direction, la route laisse à gauche un petit village au nom de Talaoua Gueni, puis franchit un col, descend dans une vallée étroite où des singes s’ébattent, pour rejoindre la plaine de la Mitidja. A gauche, la cime du Bouzegza domine, et à droite, dans des contreforts montagneux, se trouvaient le Général de Bollardière et ses unités. Le lieutenant Jean-Jacques Servan-Schreiber, rappelé comme moi-même, commandait l’une d’elle.

    Nos unités étaient voisines. Le lieutenant qui commandait ma compagnie était saint-cyrien, un officier propre que je n’ai jamais vu torturer. De plus, il lisait l’Express, cela ne devait pas être courant dans l’armée de métier à cette époque.

    Témoin de tortures majeures

    Lors d’une première opération, où je ne faisais que convoyer un camion de ravitaillement, j’ai été, à ma stupeur, témoin de tortures majeures. Je n’avais pas d’appareil de photos pour les authentifier. Je vous dis mon témoignage.

    Ayant livré le ravitaillement à un lieu dit « la ferme Dick », j’attendais l’ordre de partir. Dans le poulailler, deux prisonniers attendaient. Un soldat en arme en assurait la garde.

    A côté du poulailler, un Français maghrébin (tous étaient soi-disant français à l’époque), en habit indigène, gisait, mais vivant dans un carré fabriqué à l’aide de traverses de chemin de fer. Il avait dû subir de nombreuses blessures aux jambes, si ma mémoire ne me fait pas défaut, et à la tête, car son turban était couvert de sang.

    Un officier est arrivé. Il s’est approché de deux cylindres en zinc de près de deux mètres de haut et de moins d’un mètre de diamètre, auxquels je n’avais pas prêté attention.

    Peut-être qu’une plaque reposait par-dessus ces cylindres, je ne sais plus. Il faisait une chaleur torride, c’était en début d’après-midi. C’est alors que j’ai vu cet officier de l’armée française manipuler une tringle de fer qu’il faisait pénétrer dans des trous à quelque 20 ou 50 centimètres de la base des cylindres. La sentinelle m’expliqua que «c’était pour savoir si les sujets torturés étaient encore vivants... »

    Actes de résistance

    Dès le retour de cette opération, j’ai demandé à mon lieutenant de bien vouloir me porter volontaire pour effectuer toutes les opérations, embuscades comprises. Désormais, un appareil de photos ne me quittait pas, et c’est ainsi que j’ai pris les photos de tous ces villages que nous avons détruits, brûlés, réduisant leurs populations à la famine. Quand je dis « nous », c’était en fait le plus souvent des harkis qui étaient chargés d’effectuer ce sale travail. En ayant interrogé deux d’entre eux, et ceci en dehors de toute intervention, j’ai appris comment il leur était impossible de faire autrement sous peine de mettre leur propre famille en danger.

    Durant les opérations auxquelles j’ai participé, les hommes de notre unité n’ont jamais torturé. Mon combat constant était de faire maintenir la distance entre les hommes afin d’éviter au mieux un massacre en cas d’embuscade. Heureusement, notre unité n’en fut pas victime. Hélas, il n’en fut pas de même les années suivantes.

    Mon bon état physique me permettait d’être souvent devant avec notre lieutenant.

    Subodorant ses opinions, je me souviens lui avoir demandé s’il appelait telle ou telle opération : « le vol, le viol, la honte ». Il supportait mal mes questions. Je pense qu’il avait honte comme moi.

    Je me souviens d’une mechta située sur la gauche du chemin qui mène au village de Bou Lemmou où, très probablement, des résistants ce cachaient. Je reçus l’ordre de les abattre au fusil mitrailleur. Ils sortirent un à un, minute après minute, sans armes, courant vers le col pour sauver leur vie. J’ai commandé le feu au coup par coup sur un objectif virtuel 100 mètres avant et 100 mètres à gauche de la maison. Je comptais ceux que je sauvais, peut-être cinq ou six.

    Je me souviens que mon unité a blessé sans raison un cultivateur, lors d’un ratissage.

    J’ai crié « halte au feu » et je me suis précipité pour le sauver. J’ai obtenu de mon lieutenant l’ordre de transporter le blessé en brancard, puis en camion GMC, jusqu’au dispensaire de Palestro. Notre officier prit aussi le risque de me faire conduire en GMC, dans les mêmes conditions limites, une femme enceinte qui avait été blessée lors du pilonnage du village d’Arkoub, village rebelle où des enfants furent tués. Mon combat a aussi été d’empêcher le viol. Des soldats m’ont répondu : « si ce n’est pas nous, c’est eux... »

    Nous avons fait des opérations tout autour dans la région, y compris en hélicoptère, et une très importante dans le Djurdjura qui domine la Kabylie. En six mois de ratissage, je n’ai vu qu’un seul lit, dont j’ai pris la photo. La population ne parlait pas le français. Je me souviens d’un seul garçon qui parlait français. La pauvreté de cette population était extrême.

    Ce que j’ai vu et vécu reste inimaginable et m’a marqué pour la vie.

    Le pire, ceux qui ont su, ont obéi et se sont tus. Le pire pour moi, ce ne fut pas la torture en quelque sorte institutionnalisée. De passage un soir à Beni Amram, QG de notre bataillon , j’ai vu tomber mort un jeune Français maghrébin que deux soldats ramenaient à la prison.

    Ils ne le tenaient pas, il marchait entre les deux soldats quand, soudainement, il est tombé mort. L’infirmier qui dirigeait ce service me déclara qu’il en mourait un par jour des sévices subis : électricité, baignoire, suspension, etc... J’ai tout lieu de croire son témoignage. J’avais fait connaissance de ce sous-officier rappelé sur le bateau qui nous menait en Algérie. Il ne voulait pas se battre et me disait être pistonné par une lettre de Madame Roosevelt pour être infirmier.

    Le pire pour moi, ce ne furent pas les exactions ordonnées systématiquement avec l’accord actif ou passif (qui ne dit rien, consent) des autorités. Ainsi l’ordre du colonel que j’ai lu - ordre donné à tous les officiers de brûler et de détruire tous les villages et les récoltes, en ajoutant qu’il serait toujours temps de rattraper les populations en donnant du sucre et des bonbons aux enfants.

    Le pire, ce fut pour moi le refus de mes sous-lieutenants, rappelés comme moi, instituteurs ou professeurs dans le civil, de me confier cet ordre pour que je l’adresse en France afin que cela soit su. Le pire, ce furent tous les officiers et autres autorités qui ont su, ont obéi et se sont tus. Comme vous le savez, cet ordre qui a été probablement généralisé et caché au pays nous couvre de honte. Nous n’avons pas fini d’en payer les conséquences.

    J’ajoute, que de retour en France, on n’a pas voulu me croire. Mon père, décoré de la Légion d’honneur sur le champ de bataille par Pétain, volontaire en 40, puis résistant, refusa mon témoignage en disant que, par mes propos, je salissais le drapeau et la France. Par la suite, j’ai compris que le défaut le plus commun au genre humain, c’est la lâcheté.

    Pardonnez-moi, chère Madame, pour cette longue lettre. Je voulais que mon témoignage vous dise combien Jacques de Bollardière a été et demeure un exemple pour moi, comme il a été pour Jean-Jacques Servan-Schreiber.

    Comment oublier son attention à la population, sa volonté de créer écoles et dispensaires, sa dénonciation de la torture et la condamnation honteuse qui s’ensuivit? Comment oublier qu’il fut le seul haut gradé à le faire ? Comment oublier sa lutte contre les essais des bombes nucléaires à Mururoa, en faisant fi de sa propre santé chancelante ?

    Merci au Général Jacques de Bollardière ! Qu’honneur lui soit toujours rendu !

    .

    Jean de Monbrison,

    « Qui sont mes frères ? Qui sont mes soeurs ? »

    du Docteur Jean de Monbrison

     

     ENVIE DE CRIER

    À mon retour d’Algérie, fin décembre 1956, mon père nous a invités, mes soeurs et mon frère, à voir le Pont de la rivière Kwaï. Je voulais sortir de la salle, j’avais honte et envie de crier. Je n’imaginais pas qu’on se régale d’un tel racisme et de décrier les tortures faites par les Japonais, alors que l’on se conduisait comme des assassins vis-à-vis des hommes, des femmes et des enfants maghrébins, que l’on disait être Français et que nous devions, soi-disant, protéger. Quand j’ai voulu parler de ce que j’ai connu, de ces villages en feu, de leur destruction systématique, de l’ordre du colonel à ses officiers de brûler tout, maisons et réserves alimentaires, et qu’il serait toujours possible de pacifier ensuite en donnant du sucre et des bonbons aux enfants, des lieux de torture dont j’ai été témoin, cela n’intéressait personne. J’ai voulu communiquer cet ordre du colonel en France pour que cela soit su, mais aucun des sous-lieutenants rappelés, instituteurs et professeurs qui nous commandaient n’ont accepté de me le communiquer. […] .

    Durant l’été 1956, j’avais su qu’une commission parlementaire avait été chargée de vérifier sur le terrain si l’existence de tortures en Algérie était réelle ou seulement de la calomnie. Ayant appris qu’un ami de ma famille, le préfet Laporte, en faisait partie, j’ai demandé à ma mère de lui demander de bien vouloir me rendre visite au lieu où se trouvait ma compagnie près de Palestro. Nous n’avons jamais vu cette commission qui a probablement été prise en charge dans une tournée de popotes et n’a, de ce fait, rien vu et rien révélé. J’ai reçu vingt jours d’arrêt en Algérie avec menace de fort et de cassation. J’ai vu le moment où je risquais qu’on me mette une balle dans le dos et qu’on envoie mon corps à ma famille avec décoration et mention  » mort au combat « . Bien entendu, j’ai alors  » fermé ma gueule « , pensant qu’au retour en France, on me croirait. Ce ne fut pas le cas.

    J’ai été tellement marqué par ce que j’ai vu en Algérie que j’ai décidé de venir en aide aux Maghrébins. Comment et autrement que comme soldat ? Je me suis senti trop vieux pour attaquer la médecine. J’ai pensé qu’une formation d’infirmier un peu plus poussée pourrait suffire pour effectuer les soins comme un pionnier puisqu’il n’y avait rien de médical, à ma connaissance, dans tous les lieux où nous avons exercé le  » ratissage « . J’ai obtenu l’autorisation, peut-être unique en France, de commencer mes études dès janvier 1957. Dès le premier jour, je me suis trouvé, sans aucune formation, à assurer piqûres IM et même IV des patients de tout un dortoir du service du professeur de Sèze à Lariboisière. C’est sur le conseil de la surveillante du service de pédiatrie du professeur Moziconacci à Kremlin-Bicêtre que j’ai attaqué des études de médecine, deux ans plus tard. […]

     

    Un commentaire

     

    « Qui sont mes frères ? Qui sont mes soeurs ? : des photographies prises en Algérie en 1956 me posent toujours cette question » est un document qui m’a été donné par le Docteur Jean De Monbrison, témoignage de ses années où il était dans l’armée française en Algérie.   Le Docteur Jean de Monbrison consacre toujours son temps à aider les personnes originaires du Maghreb.

     

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