• Non, Vichy n'a pas inventé la fête des mères (mais presque)

    Non, Vichy n'a pas inventé la fête des mères (mais presque)

     

    La fête des mères est une importation américaine de 1918. Mais c'est vrai, Pétain l'aimait fichtrement.

    C'est à Lyon, le 16 juin 1918, que nait la première grande fête des mères. (Domaine public)C'est à Lyon, le 16 juin 1918, que nait la première grande fête des mères. (Domaine public)
     
    “La fête des mères, c’est un truc inventé par Pétain, non ?” Chaque année, comme le muguet, cette phrase fleurit dans les conversations. Les mauvais esprits, surtout adolescents, l’adorent. Le point d’interrogation est fréquent : on n’est jamais trop sûr, c’est ce qu’on raconte.

    Il faut rétablir les faits concernant cette fête annuellement décriée.

    • Non, Pétain n’a pas inventé la fête des mères : il l'a simplement remise en selle.
    • Oui, ses motivations premières, en France, n'étaient pas très glorieuses : il s'agissait de célébrer des ventres destinés à produire les futurs soldats.

    C’est au début du XXe siècle qu’on commence à vraiment célébrer les mères, et particulièrement des mères de familles nombreuses. Il s’agissait alors de repeupler les pays décimés par les guerres.

    Première fête des mères en 1908, en Virginie occidentale

    Les Américains sont les pionniers de cette histoire. En 1908, une certaine Anna Jarvis, femme passionnée et quelque peu excentrique de Grafton, en Virginie occidentale, organise une fête dans son église méthodiste pour célébrer la mémoire de sa mère, morte trois ans plus tôt, et fêter toutes les autres mères.

    Il faut dire que sa mère n’avait pas démérité, question maternité : Anna est la 10ème de treize frère et sœurs, dont 7 sont morts avant sa naissance, frappés par la rougeole, la diphtérie ou autre fièvre typhoïde... Sa mère, une institutrice, a consacré sa vie à aider les autres mères et leurs enfants face à ces diverses maladies. Pendant la guerre de sécession, elle a fondé les “Club de travail des mères” pour améliorer les conditions sanitaires dans les villes de Virginie occidentale.

    Anna Jarvis, elle, travaille dans l’assurance, milieu alors peuplé d’hommes, et si elle n'a pas participé au mouvement des suffragettes, elle est sensible aux discours de l'époque contre la faible reconnaissance accordée aux femmes. Mais sa démarche est avant tout religieuse. Lors de la fête qu'elle organise, des œillets sont distribués, car sa mère les aimait : ils deviendront une part intégrante de la célébration de la fête des mères dans le monde entier.

    Après sa fête, elle part en campagne pour que soit organisée une “journée des mères” nationale. Elle rencontre des hommes d’affaires, des politiciens, des journalistes. Au début, les sénateurs américains se moquent du projet. En 1908, ils repoussent un amendement au motif qu'une journée des mères risquerait de conduire à "une journée des sœurs et des cousines et des tantes".

    Mais l'idée prend : la fête est instaurée dans de nombreux Etats américains, et s'exporte dans des pays étrangers (Canada, Chine, Japon, Belgique, Hollande…).

    En 1914, le Congrès américain décide finalement de faire du second dimanche de mai le “jour de la mère”, Mother’s Day ; le président Woodrow Wilson en fait une journée nationale, au cours de laquelle on lèvera le drapeau.

    A noter que vers la fin de sa vie, en 1948, Anna Jarvis, ulcérée par la tournure commerciale prise par la fête des mères, regrettera son "invention".

    1918 , la "journée des mères" débarque en France 

    En France, la campagne d’Anna Jarvis trouve un écho, surtout après la guerre de 1914-1918. On commence à célébrer, dans certaines villes, une "journée des mères".

    Un mot sur le contexte : en ce début de XXe siècle, le débat sur la dépopulation de la France fait rage. Avant la guerre, déjà, des associations se sont mobilisées contre le malthusianisme, prônant une natalité plus forte afin de “fortifier la nation” face à l’Allemagne. C’est le cas notamment de l’Alliance nationale pour l’accroissement de la natalité, fondée par Jacques Bertillon en 1896, qui deviendra en 1916 la “Ligue pour la vie”.

    Après la grande guerre, les rangs de ces "natalistes" sont renforcés par les “familiaux” : des organisations nées dans les milieux catholiques qui luttent contre tout ce qui nuit à la famille : prostitution, contraception, littérature licencieuse, avortement... “Les corps ne sont stériles que parce que les âmes sont infécondes” assène le "Congrès de la natalité" en 1919, qui réunit ces deux courants.

    Armelle Canitrot, auteure d'un mémoire sur l'histoire de la fête des mères résume :

    Les femmes, après avoir travaillé pendant la guerre, sont invitées à rentrer chez elles, à revenir sous la coupe des hommes, et faire des enfants". 

    Il faut fé-con-der. La “famille nombreuse”, nouvelle expression, est célébrée. La "médaille d’honneur de la famille française", créée par décret du 26 mai 1920 est distribuée par les préfets aux mères méritantes...

    L’apparition de la fête des mères, d'abord à Lyon, puis dans d'autres villes, s’inscrit donc dans un contexte à la fois patriotique, moraliste et religieux. 

    A Lyon, la première fête des mères

    A Lyon, le 16 juin 1918, nait la première grande fête des mères. Il était initialement question d'une "journée des familles nombreuses”, courante à cette époque, mais l’un des organisateurs, le Colonel de Lacroix-Laval propose de s'inspirer des Américains et de la baptiser “journée des Mères”.

    Le débat s’ouvre au sein du comité d'organisation. On convient de “l'importance morale et sociale” de la mère, “dans une société qui, pour se défendre contre un voisin rapace et sans scrupule, doit s’appuyer sur le nombre”. Le député du Rhône, Auguste Isaac, porte-voix du courant de défense de la famille et du natalisme, fait la synthèse : ce sera la “journée des mères de familles nombreuses”.

    Le gouvernement cherche à la promouvoir. Un premier arrêté, en décembre 1920, instaure “la fête des mères de famille nombreuses”. Mais le démarrage est lent.

    En mai 1926, dans le cadre d’une politique nataliste assumée, le gouvernement issu de la majorité du Cartel des gauches en fait la promotion : il prend l'initiative d'une fête à Paris, associant les églises et les écoles et se terminant par une fête à l’Arc de triomphe. L'année suivante, il cherche à rendre la fête obligatoire et envoie des circulaires aux préfets. La journée est officialisée en 1929 et on décide de la célébrer le dernier dimanche de mai. Dans le journal l’Illustration du 31 mai 1930 on peut ainsi lire...

    La fête des mères a été instituée en France. On a célébré dimanche, dans toutes les villes de France, dans les bourgs et souvent dans les moindres villages, la charmante fête des mères françaises”.

    La mère, icône de la Révolution nationale 

    Le Maréchal n’a donc pas inventé cette journée. En revanche, dès 1941, il en fait une célébration quasi-liturgique, la mère étant mise sur un piédestal.

    Des affiches de propagand pour la fête des mères sous Vichy

    Des affiches de propagande pour la fête des mères, sous Vichy

    Elle est glorifiée par la propagande comme “l’âme de la famille”. Et tous les français sont poussés à célébrer sa "journée". Protectrice comme la patrie, féconde comme la terre (qui ne ment pas), gardienne des traditions et des vertus familiales, symbole du sacrifice, la mère devient une des figure centrale de la Révolution nationale. La féminité se résume à la maternité. Et jusqu’à sa chute, avec de plus en plus de faste, l’Etat Français va célèbrer la fête des mères.

    Voyez ce spot de mai 1943 :

     

    Celui de 1944 : 

    Après la Libération

    Populaire, la fête des mères survit à la Libération. Il faut encore repeupler la France. Pour la première fois, un texte de loi, le 24 mai 1950 instaure la fête des mères. Seuls les communistes votent contre. Non pas parce que cette journée rappellerait Vichy, mais parce qu'une si noble fête n'est pas digne d'être portée par un gouvernement dont la politique est "diamétralement opposée au bonheur des familles". C'est la députée Geneviève Roca qui se charge de porter la charge au nom du PCF  :

    "A ce gouvernement qui affame les enfants pour préparer la troisième guerre mondiale, qui fait tuer les fils et emprisonne les mères, les femmes dénient le droit de fêter la fête des mères. Leur lutte, qu'elles continuent avec acharnement, amènera un autre gouvernement qui se penchera sur le sort de l'enfance, sur le bien-être des familles, un gouvernement qui consolidera la paix. Alors, avec un tel gouvernement, nous pourrons célébrer dans la joie et le bonheur la fête des mères."

    La suite est connue : le commerce s'empare de la fête. La super-cocotte Seb, le parfum Jean Patou, le fer BabyLiss, Interflora... Une marque de briquet bretons, Flaminaire, promeut la "fête des pères". Plus tard, en 1987, une marque de café lance la "fête des grand-mères"... 

    Bon, sur ce, je retourne à mon collier de nouilles.

    Pascal Riché

    SOURCE : http://tempsreel.nouvelobs.com/culture/20150529.OBS9834/non-vichy-n-a-pas-invente-la-fete-des-meres-mais-presque.html

    « Quel est le rapport entre la mémoire et l’histoire de la guerre d’Algérie ? Nous pouvons toujours dire "Bonne fête à toutes les mamans du monde" mais nous savons bien que ce n'est qu'un rêve et non la réalité »

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