• Odos. « J'ai servi de cobaye humain »

    Odos. « J'ai servi de cobaye humain »

    Sur cette carte qu'il a conservée, les consignes de « sécurité » : dérisoires face à une explosion atomique et aux radiations consécutives. Photo DDM Laurent Dard.

    http://www.ladepeche.fr/article/2010/02/25/784710-odos-j-ai-servi-de-cobaye-humain.html 

    Il n'en a jamais parlé à ses fils. Mais le 13 février 1960, il était là-bas, en Algérie, lorsque Gerboise Bleue a explosé. Gerboise bleue ? C'était il y a 54 ans. La première bombe atomique française, 70 kilotonnes, quatre fois Hiroshima. « Et aujourd'hui, il faut que ça sorte », résume Pierre Metge, au terme d'un demi-siècle de silence, parce que « j'entends parfois n'importe quoi à la télé, que j'ai 72 ans et que je m'en fous désormais. Ils peuvent me retirer ma pension militaire, pour les 400 € (article écrit en 2010)  par an qu'ils me payent en deux fois, hein… », lâche-t-il. Ne voulant rien demander à l'armée. Ne revendiquant aucun statut d'ancien combattant. N'appartenant à aucune association d'irradiés, non plus. Désirant juste témoigner du sort « d'un pauvre couillon » en Algérie pour que d'autres langues se délient. Lui qui fut pris dans une guerre qui n'était pas la sienne. Avant de finir son temps désarmé en première ligne face à LA bombe.

    Sale guerre

    Son histoire ? Le livret militaire et l'album photo la racontent à présent, sur la table du salon dans son petit pavillon d'Odos. Qui disent : « Pierre Metge, né le 28 octobre 1937 à Toulouse, marié en 1956, appelé le 1er novembre 1957, brevet militaire parachutiste n° 140 341 le 30 avril 1958 à Pau », puis le départ pour l'Algérie, le 4 juillet suivant. Là-bas, « je me suis retrouvé spécialiste en explosifs, détaché au 1er régiment étranger parachutiste, la Légion, à Zéralda », poursuit-il. Et cette guerre-là, qui le réveille encore aujourd'hui, il ne voulait pas la faire. Faire sauter des civils, accompagner les « corvées de bois »… lui qui n'était pas soldat de métier, juste appelé. Qui se rêvait footballeur pro à Paris, avant de partir se faire voler ses 20 ans. « Je leur ai dit que combattre l'ennemi en face, des gens qu'on voit, je voulais bien, mais pas ça. » Le 19 octobre 1958, « ils m'ont alors envoyé dans le territoire du sud ». Concrètement ? « On s'est retrouvés à Reggane, des gars d'un peu tous les régiments, sous les tentes, un peu à l'abandon et à rien faire d'autre que jouer au foot, à la pétanque, aux cartes, pendant des mois. » Plus d'armes. Pas d'autre uniforme qu'un short et une vareuse. Pratiquement aucun contact avec les officiers et les sous-officiers. Et pas une seule fois le nom du centre d'essais atomiques sur ses papiers… « En fait, on était au secret », poursuit-il. Mais en décembre 1959, le voilà enfin libérable. Il devait faire 14 mois, il en est à 24. « Seulement, ils nous ont gardés. La première explosion qui devait avoir lieu en décembre ayant raté, ils nous ont dit qu'on resterait jusqu'au premier tir. » Le 13 février 1960.

    Balayé par le souffle

    Pierre Metge se lève à présent. S'allonge à plat ventre dans le salon, replie son bras sur ses yeux. Rejoue la consigne d'il y a 50 ans. Et explique : « Ils nous ont envoyé près du lieu de l'explosion en treillis et en rangers, sans combinaison, avec juste un dosimètre photo autour du cou, rouge et noir, je m'en souviens, c'était les couleurs du Stade toulousain ». Et puis « il y a eu le bruit et la lueur, on avait 20 ans, on a sauté en poussant un cri de joie comme des gosses et le souffle nous a balayés à 5 mètres de là ». De retour au camp, ils ont été consignés sous la tente. Gardé par un planton armé. « Le lendemain, ils ont ramassé les dosimètres, sans même les identifier et on n'a passé aucune visite médicale, rien. Juste 12 jours après, on nous a dit de faire nos paquetages. » Son livret dit qu'il est rentré en bateau. Lui affirme être rentré en avion, depuis Colomb Béchar au Bourget. Et avoir de nouveau demandé des examens à Paris avant d'être libéré. En vain. Après? Il a perdu toutes ses dents. Comme des dizaines d'autres. « Pourquoi on nous a pas équipés de combinaisons ? Pourquoi on nous a gardés? », interroge-t-il aujourd'hui. Connaissant déjà la réponse… «En fait, à Reggane, j'ai servi, on a servi de cobayes humains. » Reggane « où il y avait une palmeraie, un village, des gens… on allait y boire le thé de temps en temps… ils sont devenus quoi, ces gens-là ? », interroge-t-il encore, la voix cassée.

    Pierre Challier.

     

     

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