• Robert Ménard, moi Française et Algérienne, j'ai honte

     Robert Ménard, moi Française

    et Algérienne, j'ai honte

    Robert Ménard, moi Française et Algérienne, j'ai honte

    Robert Ménard, maire de Béziers, le 9 décembre 2015.

     Photo Pascal Guyot / AFP

    Aujourd'hui j'ai honte pour mon grand-père, cet Indigène de la République, ancien ouvrier chez Renault, j’ai honte pour Assia Djebar, figure de la littérature française, membre de l’Académie Française. Tout comme toi, je partage l'amour de la République, de la France et de ses valeurs. Et pourtant, aujourd’hui, j’ai honte.

    Cher Robert,

    Tes propos sont passés inaperçus vendredi 4 décembre dernier, sans doute à cause du succès fulgurant de ton parti, que dis-je, ton clan, auprès des Français, des jeunes comme des moins jeunes. Un succès que je peine encore à expliquer. Est-ce un énième vote sanction contre un régime politique à la dérive, ou une véritable adhésion aux idées que vous et vos amis, continuer de répandre dans toute la France.

    Le 5 décembre Robert Ménard, maire de Béziers, a prononcé un discours lors d’une cérémonie en hommage aux victimes de la guerre d’Algérie, et des combats menés au Maroc et en Tunisie : "Et depuis, ceux que nous avons vaincu sur le champ de la bataille, mais auxquels nous avons été vendus sur les terrains de la politique et des jeux diplomatiques, ceux-la même traversent la mer qui nous séparait. Oui, tout se tient ! Les abandons d’hier annonçaient les affrontements d’aujourd’hui". Et d’ajouter : "Le général De Gaulle avait dit, moi vivant, le drapeau du FLN ne flottera pas sur Alger, il a survécu à cette honte. Parce qu’on a accepté que le drapeau du FLN, flotte à Alger, avec la même logique de renoncement, on laisse ici et le drapeau français être brûlé (...) Vive la France, vive la plus grande France !" (Propos rapportés par Le Midi Libre, lire ici)

    Robert, je peine à expliquer le succès de ce populisme nauséabond, l’écho de ces idées mortifères, le triomphe de ces discours discriminants, sécuritaires, n’ayant que pour seul objectif la division.

     

    Robert Ménard, moi Française et Algérienne, j'ai honte

    Manifestation à Béziers, le 8 mai 2015, contre le recensement des élèves des écoles en fonction de leur prénom pour déterminer le nombre de musulmans. Photo Pascal Guyot / AFP

    Robert, aujourd’hui j’observe mon pays comme une immense poudrière, prête à exploser, quand ce ne sont pas des Français, terribles criminels obéissant à une junte folle, hargneuse, sectaire, terroriste, qu’est l’organisation qu’on nomme communément « DAECH », non pour moi ce n’est pas un Etat, encore moins une nation, il s’agit ni plus ni moins que d’une organisation de terroristes illuminés qui n’épargnent personne, ni les chrétiens, ni les juifs, ni les musulmans, premières victimes de ces bourreaux internationaux.

    Robert, nous sommes attaqués en France et dans le monde, en ces moments difficiles où nous avons besoin d’unité, j’ai comme l’impression d’être tristement spectatrice d’un duel entre ces terroristes et vous, votre parti, chacun se renvoyant la balle, chacun jouant le jeu de l’autre. Aussi, dans ce jeu tragique de stigmatisation, de manipulation, les Français musulmans en sont les victimes, l’un critiquant leur mode de vie à l’européenne et l’autre, leur origine, leur religion, tous deux les dépeignant comme d’atroces barbares moyenâgeux, aux mœurs des plus violentes. Les uns plus grotesques que les autres. Et pourtant, je ne reconnais l’islam dans aucun de ces discours. Certes l’un se pare de la religion pour commettre ces actes barbares, mais comment ne pas entendre cette immense majorité de musulmans en France et dans le monde, dénoncer cette gigantesque manipulation et supercherie de l’islam ?

    Robert, je place le terme « musulmans » après Français, car contrairement à tes discours, ces personnes sont bien françaises avant d’être musulmanes, d’ailleurs croyantes ou non, pratiquantes ou non, mais il semble que, toi comme les autres, vous attribuiez l’étiquette "Musulman" à chaque prénom à consonance arabe. Dois-je vous rappeler qu’arabe ne rime pas forcément avec islam et islam, ne rime pas non plus forcément avec arabe. Robert, ces personnes que vous visez sans répit, sont bien françaises elles aussi, et ce, sous aucune condition si ce n’est celles que nous partageons tous, celles de la République.

    Robert, comment ne pas se sentir stigmatisé, discriminé, accusé, attaqué, lorsqu’un élu comme vous, annonce sur la télévision publique française, avoir listé des élèves comme «musulmans» en fonction de leurs prénoms ? Comment ne pas imaginer un retour aux périodes les sombres de notre Histoire, comment ne pas imaginer un croissant vert remplaçant une étoile jaune, épinglé sur la veste de ces élèves.

    Robert, j’ai honte aujourd’hui. Honte de ce que devient mon pays. Avons-nous retenu les leçons de nos erreurs d’hier pour ne pas les répéter aujourd’hui ?

    Robert, comment ne pas poursuivre cette lettre en vous exprimant ma plus grande colère, face à vos propos indignes pour un élu de la République, indignes pour un élu de la patrie des Droits de l’Homme, la patrie des Lumières, d’un Etat, vers qui le monde entier a les yeux rivés depuis ces terribles attentats. Ces propos révulsent. En dépeignant cette nostalgie d’Algérie française nauséeuse, j’ai honte. Honte pour mon grand-père, cet Indigène de la République, né dans une famille pauvre, dans cet ancien département français, cet indigène envoyé au front à ses 20 ans comme tant d’autres de soldats français et tant d’autres indigènes, en Provence, en août 1944, pour libérer la France. J’ai honte pour ce grand-père, combattant indigène devenu ouvrier à Boulogne-Billancourt chez Renault, fleuron de l’industrie française, cet ancien combattant devenu ouvrier qui a participé, à la sueur de son front, aux Trente Glorieuses et à la reconstruction de notre pays.

    Robert, j’ai honte pour Assia Djebar, figure de la littérature française, membre de l’Académie Française, riche d’une histoire balancée entre ses deux pays, la France et l’Algérie, symbole d’une double culture, symbole de la richesse de ces cultures, de la richesse de notre histoire. Car oui Robert, nous partageons une même histoire, celle de l’Algérie, toi, moi et tant d’autres ici en France, partageant cet irrémédiable lien avec l’autre côté de Méditerranée, ce lien sacré, presque trop sacré même. Et pourtant.

    Robert, dans un contexte aussi dramatique, aussi tragique, pourquoi s’échiner à raviver ces blessures de guerre ? Robert, l’Histoire nous apprend que seul le temps peut guérir ces blessures, le temps, la reconnaissance et le pardon. Pourquoi s’épuiser à déchirer, dans un élan démagogique et populiste, cette lente, douloureuse, mais nécessaire réconciliation, entre nos deux pays ?

    Robert, tout comme toi, je suis française. Tout comme toi, j’ai aussi vécu en Algérie, mais dans cette Algérie algérienne, cette Algérie ensanglantée, traumatisée il y a une vingtaine d’années, par cette même terreur qui nous frappe aujourd’hui. Plutôt qu’ennemis, j’imagine ces deux pays frères, luttant côte à côte contre ces mêmes fléaux qui les rongent. Je les vois frères mais pourtant tous deux malades avec pour chacun ces mêmes docteurs vivant encore au temps de l’OAS et du FLN.

    Robert, tout comme toi, je partage cet amour pour la République, pour la France et son histoire si riche, pour mon pays et ses valeurs. Et pourtant, aujourd’hui, j’ai honte.

     Ania Kaci Ouldlamara

    SOURCE : http://chroniques-algeriennes.blogs.liberation.fr/2015/12/15/lettre-ouverte-robert-menard/

     

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