• Bernard Gerland vient de nous quitter

     

     

    C’est une bien triste nouvelle que Tramor Quemeneur vient de nous communiquer. Bernard Gerland vient de nous quitter.

    Bernard Gerland vient de nous quitter

     

    Tramor Quemeneur écris donc « Je viens d’apprendre le décès de Bernard Gerland la nuit dernière. J’avais écouté et lu son témoignage poignant «Ma Guerre d’Algérie» au début des années 2000. Il y revenait sur son parcours d’appelé dans la guerre d’Algérie, ce qui avait complètement bouleversé sa vie. Nous nous étions rencontrés au début des années 2010. Je l’avais alors interviewé, il m’avait ouvert ses archives et j’avais rendu compte de son parcours dans plusieurs ouvrages. Nous avons participé à plusieurs rencontres ensemble, autour du 17 octobre 1961 ou de la répression en Algérie, en région parisienne et bien sûr à Lyon. Il avait enfin participé au documentaire « Algérie. La guerre des appelés » pour lequel j’étais conseiller historique, et dans lequel son témoignage est très fort. Le rencontrer, échanger avec lui a toujours été très agréable. Sa prévenance et sa gentillesse me manqueront. Salut l’artiste !

    Tramor Quemeneur

     

    Le spectacle-témoignage "Ma guerre d’Algérie" est programmé à Besançon, mardi 14 avrl 2015, salle Battant, à 20 h

    Le témoignage

     

    de Bernard Gerland

    Un spectacle, Ma guerre d’Algérie "Ce qui se ressemble chez les appelés et rappelés de la guerre d'Algérie "Le silence du retour"

    On a vite fait de basculer 

    Bernard Gerland, 21 ans à Foudouk, 75 ans à Lyon 

    Instituteur avant la guerre puis conducteur de travaux, Bernard est un militant de gauche. Il est envoyé deux ans en Algérie entre janvier 1960 et janvier 1962.  

    Pendant les premières années de la guerre, il contribue à la diffusion sous le manteau de “La question” d’Henri Alleg. Il est persuadé d’échapper à l’Algérie, persuadé que “les choses vont s’arranger” jusqu’à son appel sous les drapeaux. Bernard n’adhère pas aux valeurs de l’armée. Progressivement, il entre dans le jeu, subit la propagande quotidienne de ses supérieurs et finit sa guerre en bon “petit chef de guerre”. Depuis 2001, Bernard milite dans l’association “Parlons-en” et donne des représentations publiques de son spectacle “Ma guerre d’Algérie”.  

    Dans "Instantanés d'Algérie, les gusses témoignent", Bernard raconte son voyage d’un mois à travers l’Algérie pendant une permission, l’exécution d’un prisonnier qu’il a regrettée toute sa vie et ses relations amicales avec les harkis qu’il a dirigés pendant plusieurs mois.   

    Un spectacle, Ma guerre d’Algérie

    Bernard Gerland raconte comment il en est arrivé à se porter volontaire pour une « corvée de bois » en Algérie, puis comment il s’en est libéré trente ans après.

     Qui suis-je et qui étais-je avant l’armée ?

    Je suis né le 16 Août 1939 à Villefranche-s/Saône  (Rhône), où j’ai vécu jusqu’à l’âge de 11 ans, puis ensuite à Lyon. J’ai été élevé dans une famille de tradition catholique, le second de ma fratrie (trois sœurs). Bien que n’aimant pas l’école à partir de la classe de sixième (j’étais plutôt un esprit rebelle et avais horreur des activités sédentaires), je suis allé jusqu’au baccalauréat, ce qui m’a permis à 19 ans d’être instituteur public remplaçant, avant d’être, à 20 ans,  incorporé dans l’armée comme appelé.

    J’étais peu politisé, mais malgré tout hostile à la guerre et particulièrement à celle d’Algérie dont je suivais l’évolution depuis l’âge de 15 ans. Je lisais Témoignage Chrétien , parfois  France Observateur . Je connaissais  La Question  d’Henri Alleg, j’avais lu Germaine Tillion sur l’Algérie. Je ne voulais pas devenir gradé,  avec néanmoins une contradiction : j’avais suivi la  préparation militaire, mais plus pour le sport que pour l’aspect militaire.

    Double jeu de la « pacification »

    Je suis incorporé en août 1959 (classe 59 2A) à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) au 92ème R.I.  Quatre mois de classes de biffin (l’aspect sportif ne me déplaisait pas) au cours desquels je subis une très forte pression pour suivre le peloton et devenir caporal puis sous-officier. Devant mon refus, réitéré à maintes reprises, on finit par m’expédier en Algérie : départ janvier 1960. J’y resterai deux ans.

    Je suis affecté au 117ème R.I., région de Blida. On tente de suite de m’intéresser à des affectations du genre instituteur. Je ne manifeste pas d’intérêt, et me retrouve affecté dans un poste  de montagne,  « Poitiers », poste en protection du village regroupé d’Aguitoune, au-dessus de Fondouk (aujourd’hui Khemiz el Khechna) d’un côté et du barrage du Hamiz de l’autre.

    Là,  je fais de la « pacification ». Je m’occupe de l’état civil instauré par l’armée, je fais le secrétariat de l’infirmier. J’en profite pour passer de longs moments à bavarder avec les chefs du regroupement, dans le village, ou au café maure avec les habitués du lieu. J’ai un excellent contact avec la population. J’en découvre le dénuement.

    Je suis chargé de recueillir des renseignements, de « jouer » la protection, de mettre en garde contre tout agissement qui porterait tort à la « pacification » et amènerait l’armée à procéder à représailles.

    Je retiens, de l’exercice de cette fonction, l’amitié liée avec l’un des chefs, la liberté que je me permettais dans mes déplacements dans le village, les contacts et discussions avec la population, mais aussi le désagréable double jeu qu’était la « pacification ».

    Je participe, en tant que grenadier-voltigeur, à des opération d’envergure où nous effectuons surtout des bouclages et  ratissages  dans la montagne, souvent loin du poste, à des embuscades de nuit dans le village ou dans la région, aux gardes évidemment, aux escortes de ravitaillement du poste et des autres postes plus éloignés dans la montagne, aux contrôles de la population.

    Installation dans la guerre

    Quelques jours après mon arrivée, premier accrochage, dans les rochers de Rivet. Le sergent Carrot est blessé, je ne le revis plus ; c’était un bon copain, un gars très apprécié de tous, une référence pour moi à cause de ses positions sur cette guerre et sur la vie en général – positions qui correspondaient aux miennes -, à cause aussi de son rayonnement humain et chrétien.

    Je me retrouve ainsi seul, sans en avoir toutefois claire conscience. Et peu à peu, sans m’en rendre compte, je m’installe dans la guerre, je fais mon boulot de soldat.  J’abandonne la prière, les quelques lectures qui auraient pu me tenir éveillé ;  je ne me nourris plus ni spirituellement, ni intellectuellement, ni politiquement.

    Seul le courrier, notamment à mes parents, me tient ; j’écris beaucoup.  Je cafarde aussi beaucoup. L’alcool (le vin au bromure, la bière et l’anisette) devient un bon compagnon, comme pour ceux qui m’entourent.

    Le capitaine du poste, en qui j’ai confiance, me propose le peloton de sous-officier, après qu’on m’ait nommé caporal, grade dont je n’ai jamais voulu porter le galon – ce qui ne m’empêchait pas,  en opération, d’assurer la fonction de chef de pièce FM. Et me voilà au centre de formation de sous-officiers de Dellys  (petite Kabylie), après avoir cette fois accepté de devenir gradé.

    Installation dans l’armée

    Je m’installe dans l’armée, après m’être installé dans la « pacification », le maintien de l’ordre et la guerre. Je commence aussi à entrevoir l’intérêt que peuvent représenter, pour un sous officier, la paye, un peu plus de confort, la considération, les responsabilités – notamment de conduite d’hommes (je savais faire ça, pour l’avoir fait dans le civil : éducation populaire, colos, enseignement). Là, l’instruction, quelques opérations, embuscades, escortes, gardes, patrouilles ; la vie de garnison en petite ville au bord de la mer ; quelques rares bons amis.

    Retour au poste de « Poitiers ». Je suis nommé sergent. J’ai en opérations  la responsabilité d’un groupe. Je  suis rapidement affecté dans une harka dont la base arrière se trouve tout près de Fondouk : une bonne cinquantaine de harkis, souvent très jeunes (à partir de 16 ans), recrutés sur le secteur ; un encadrement mixte d’ « active » et d’appelés ; dirigée un temps par un lieutenant appelé dont je garde un excellent souvenir : chef brillant, discret, sûr de lui sur le terrain, inspirant et méritant confiance. Je fais mon boulot de chef de groupe, au mieux, soucieux de « mes hommes » ; je crois avoir acquis et mérité leur confiance. Je noue une grande amitié avec mon adjoint, un sous-officier harki ; il m’apprend l’arabe que j’arrive à bien parler.

    La « corvée de bois »

    Je m’installe dans l’Algérie, j’envisage même sérieusement d’y rester après « la Quille ».

    Quelques accrochages en opérations et en embuscades. Deux passages à l’hôpital Maillot d’Alger, pour un ressort de PM  qui m’a sauté dans un œil (aie !…) et le coccyx cassé par l’explosion d’une grenade OF (lancée par moi !).

    Lors du « putsch des généraux » d’avril 1961, le Bataillon – fidèle au Général de Gaulle – se replie dans la montagne. Mon groupe accroche une petite bande de l’A.L.N. conduite par le chef historique du secteur ; celui-ci est mis hors de combat, fait prisonnier, puis soumis aussitôt  au « renseignement» au P.C. du Bataillon. Il s’ensuit une série d’opérations dont je ne me souviens pas qu’elles aient été fructueuses pour l’armée française. Jusqu’au jour où le prisonnier est amené à la harka pour être exécuté façon « corvée de bois ». Je me porte volontaire pour prendre le commandement de cette corvée, qui finit par  m’incomber avec un petit groupe de harkis.  Comme il était de coutume, je la « déguise » ensuite, dans une déclaration au commissariat de police de Fondouk, en une tentative d’évasion du prisonnier.

    Je termine mon temps d’armée au centre de formation de sous officiers de Dellys, où j’exerce surtout des tâches administratives auprès d’un capitaine de compagnie. Pour la conduite de « mes harkis » au cours de l’accrochage d’avril 1961, il m’est demandé de leur proposer une citation, ce que je fais.  Je suis également cité à l’ordre du Régiment ;  je reçois la décoration au cours d’une prise d’armes à Dellys, au grand étonnement des élèves sous-officiers qui me connaissent comme instructeur et administratif  plutôt pacifique et non comme « petit chef de guerre » ; je suis fier de cette décoration, je la porte sur mon uniforme de sortie en Algérie et à mon retour en France – ce qui me vaut les félicitations de mon père. Après avoir été fier du galon de sous-officier, me voilà fier de la décoration.

    J’avais utilisé ma « permission  longue durée »  pour faire un voyage d’un mois, en stop,  au Sahara.  J’avais pris aussi à deux reprises quelques jours de permission pour visiter l’Oranais et le Constantinois (je connaissais déjà bien l’Algérois, pour y « guerroyer »). Ce qui m’a amené à connaître des Algériens,  quelques Pieds-Noirs, et  ce magnifique pays où j’envisageais de rester après l’armée.

    Le silence au retour

    En janvier 1962, sans transition je retrouve la vie civile. Au cours de ma permission libérable effectuée en Algérie, je cherche et trouve du boulot là-bas. Revenu en France, avec ma lettre d’embauche en poche, je décide finalement,  pour raisons affectives, d’y rester.  Je retrouve assez vite du travail, dans le Bâtiment comme conducteur de travaux,  je dois investir beaucoup dans la vie professionnelle pour « faire mon trou ». Je me marie quelques mois après.

    Bien que ma pratique en Algérie ait été contraire à mes idées et à mes valeurs initiales, je n’avais néanmoins pas perdu complètement celles-ci, toujours présentes dans ma tête. Sans tarder, je m’engage syndicalement et politiquement.

    A part à mon épouse et peut être à quelques très proches (dont je ne me souviens pas,) je fais le silence sur ces deux années en Algérie,  je crois surtout par  honte de ce que j’avais fait et de ce dont j’avais été témoin, et par peur de représailles ; je préfère me faire « oublier ».  Plus ça va, plus j’enferme en moi, dans l’impossibilité de l’avouer – même à des amis intimes –,  la « corvée de bois » pour laquelle j’avais été volontaire.

    L’envie d’en parler

    Et puis … quelques trente ans après, m’est revenue de plus en plus fortement et de plus en plus souvent l’image de ce prisonnier, de cet acte, accompagnée du « mauvais goût » de ma lâcheté. L’envie d’en parler à mes enfants et à quelques amis intimes devient de plus en plus forte. Le film de Bertrand Tavernier  La guerre sans nom  est un déclencheur : au-delà de la guerre d’Algérie, il me montre tout simplement la nature humaine et sa fragilité, il renforce mon besoin de parler, et de parler avec d’autres anciens appelés – ce que je fais.  Je réalise alors combien nous portons tous au fond de nous une grande souffrance, difficilement partageable. 

    C’est alors que, en 1995, participant à un atelier sur le travail d’acteur avec des amis comédiens, l’occasion m’est donnée, dans le cadre du travail, de leur faire la confidence de l’exécution du prisonnier. Ce fut ma première expression publique : confidence difficile à dire de ma part, difficile à entendre de la leur. Ils me suggèrent de travailler à rendre cette confidence audible, partageable, présumant qu’un tel « travail» pourrait être salvateur pour moi et utile à d’autres.

    Un spectacle,  Ma guerre d’Algérie

    C’est de là qu’est né un spectacle, Ma guerre d’Algérie, après ce travail de plusieurs mois sur ma mémoire, sur la structuration de cette mémoire et son « appréciation » ;  je chemine  peu à peu avec mes amis dans l’écriture et la manière de la partager.

    Ma guerre d’Algérie  est un témoignage sous forme d’un grand poème sur l’Algérie, sur la guerre, sur les gens que j’ai côtoyés là-bas, sur la conscience, la fragilité de l’homme, sa « capacité » d’être lâche ; et par contre coup, sur la « résistance ». Le fil rouge du spectacle tient dans la phrase que je remets à chaque spectateur à la fin du récit de ma guerre d’Algérie, et qui ouvre sur la parole : « La guerre d’Algérie n’est pas terminée, elle se poursuit dans cet énorme silence qu’elle a creusé en nous. Comment ne pas voir que la honte peut entrainer la haine ; et que, sans une démarche de réconciliation avec soi-même et avec autrui, tout peut recommencer demain » (Bernard Sigg,  Le silence et la honte).

     


     


     

    « Le 11 février 1951, Ambroise Croizat décédaitPour Emmanuel Todd, "si la réforme des retraites passe", ce sera "un coup d’État" »

  • Commentaires

    1
    Mercredi 12 Février 2020 à 17:10

    Tiens presque mobilisé en même temps que moi ! Et tous les deux instituteurs quand nous avons été appelés. Mais nous n'avons pas été dans le même secteur en Algérie et par ailleurs on m'a refusé de suivre toute formation pour être gradé. Je suis resté 2ème Canonnier Servant Tireur jusqu'à la fin ! Ah, je n'ai pas eu non plus à exécuter d'exaction  Je n'en ai pas été non plus été témoin. J'ai simplement vu la misère et le racisme qui n'épargnait pas les appelés.

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :