• A Paris, des milliers de manifestants pour contrer la «dérive liberticide» du pouvoir

     

     

    A Paris, des milliers de manifestants pour contrer la «dérive liberticide» du pouvoir

     

    A Paris, des milliers de manifestants pour contrer la «dérive liberticide» du pouvoir

     

    Au moins 10 000 personnes se sont rassemblées place du Trocadéro, samedi, afin de dénoncer la proposition de loi sécurité globale. « Il est essentiel que la liberté d’informer ne soit pas piétinée », ont clamé les organisateurs.

    Le gouvernement est-il conscient des symboles qu’il fabrique ? Tout l’après-midi, en ce samedi 21 novembre, le parvis des droits de l’homme, dans le XVIe arrondissement de Paris, était désert, rendu inaccessible par de lourdes barrières grillagées, et seulement occupé par une poignée de gendarmes mobiles. Au loin, derrière les barrages policiers, s’élevait la tour Eiffel, comme cadenassée.

    C’est dans ce décor – immanquable pour les dizaines de photographes présents – que s’est déroulé le rassemblement contre la proposition de loi sécurité globale, en cours de discussion à l’Assemblée, et dont le très controversé article 24 sur l’interdiction de diffusion d’images identifiables de policiers avait été voté la veille au soir.

    A Paris, des milliers de manifestants pour contrer la «dérive liberticide» du pouvoir

    Le parvis des droits de l’homme, cadenassé et sous surveillance policière. © F.A.

    À l’appel d’une soixantaine d’organisations, la Ligue des droits de l’homme, Amnesty international, syndicats de journalistes et sociétés des journalistes (SDJ) de nombreux médias notamment, des manifestations ont eu lieu dans toute la France, après les premiers rassemblements mardi 17 novembre.

    À Paris, plusieurs milliers de personnes (plus de 10 000 assurément, et autour de 25 000 selon les organisateurs) ont largement rempli la place du Trocadéro, malgré la muraille de barrières de police la fermant presque totalement. Aux quelques entrées aménagées par les forces de sécurité, le contrôle des sacs était la règle. Plusieurs manifestants se sont vu confisquer leur matériel de protection. Comme d’autres, une journaliste y a perdu son masque à gaz, et elle avait du mal à s’en remettre encore de longues minutes plus tard : « J’ai failli finir au poste alors que je suis dans mon droit ! Je suis scandalisée, j’en tremble… »

    Seul un petit camion sono aux couleurs de la CGT faisait office de point de rassemblement, mais les manifestants ont rivalisé d’inventivité pour orner les nombreuses pancartes. « Liberté, égalité, floutés » ; « Démocratie floutée » ; « All drones are bastard », détournement du slogan antipoliciers « Acab » ; « Même l’ONU dit que ça pue », en référence aux critiques du haut-commissariat aux droits de l’homme des Nations unies ; et « La démocratie meurt dans l’obscurité » sur la pancarte portée par des salariés de Mediapart, qui avait exceptionnellement appelé à manifester (voir notre Boîte noire).

    Sur la place, pas seulement des journalistes, loin de là. Un petit groupe de gilets jaunes occupe l’endroit depuis plusieurs heures déjà. Et partout, des citoyens inquiets de ce qu’ils décrivent comme une dérive autoritaire inédite du pouvoir, qui pourrait cibler tous ceux qui filment dans les manifestations ou qui font circuler des images de dérives policières.

    A Paris, des milliers de manifestants pour contrer la «dérive liberticide» du pouvoir

    Les références à George Orwell étaient partout dans la manifestation. © D.I.

    Sous leur carton siglé « Big Macron is watching you », les trentenaires Jean-Baptiste, marbrier, et Sophie, professeure des écoles, estiment devoir être présents, eux qui ont commencé à manifester régulièrement depuis le mouvement de contestation contre la réforme des retraites, en décembre 2019. « Nous n’avons pas vraiment d’autres moyens de nous faire entendre », disent-ils. Leurs mots sont durs pour dénoncer les mesures de « protection » des policiers, mais aussi la généralisation de la surveillance des manifestations par drone ou les attaques à venir contre la loi de 1881 sur la liberté d’expression.

    « Pour nous, empêcher les journalistes de travailler, en sous-entendant qu’il ne faut pas rendre identifiables les policiers, c’est le pas de trop, déclare Jean-Baptiste. On a le sentiment que tout le monde peut déjà être visé par une garde à vue, pour peu qu’il manifeste. Si la presse est désormais aussi une cible, cela devient vraiment dangereux. Le chemin est grand ouvert pour nous mener à un État policier. »

    Claire, elle, est infirmière, et militante depuis peu du mouvement écologiste Extinction Rebellion. Elle aussi brandit une pancarte en référence à l’écrivain George Orwell, qui clame : « La dictature peut s’installer sans bruit. » Elle craint « une loi liberticide, qui pourra être interprétée de plein de façons, n’importe comment ». « Avec ce gouvernement, les manifestations sont de plus en plus réprimées, et toujours plus violemment. Si Marine Le Pen arrive au pouvoir, ce que je n’espère pas, tout sera prêt pour elle », s’inquiète-t-elle.

    « Nous sommes étudiants, et en colère », résument pour leur part Jessica, Nicolas et Floriane. « On ne manifeste pas si souvent que ça, mais il est temps », estiment-ils, catastrophés par « les atteintes à venir contre la liberté d’informer » et jugeant « déloyal » de la part du gouvernement de faire passer un tel texte pendant le confinement. Ils rappellent le rôle de la presse dans le dévoilement de l’affaire Benalla, et la juge « indispensable lorsqu’il s’agit de prouver l’existence de violences policières ».

    A Paris, des milliers de manifestants pour contrer la «dérive liberticide» du pouvoir

    Pablo Aiquel (SNJ-CGT), Aurélie Trouvé (Attac) et Nicolas Krameyer (Amnesty international), lors de leur prise de parole. © D.I.

    Ces déclarations ont de quoi réconforter les organisateurs, qui se sont succédé dans les prises de parole (le président de Mediapart Edwy Plenel est également intervenu). « Il est essentiel que la liberté d’informer ne soit pas piétinée », a résumé Nicolas Krameyer, chargé des libertés pour Amnesty, sans oublier de dénoncer une loi consacrant une « surveillance généralisée ». « Les journalistes sont les derniers remparts pour la liberté, alors on se met tous derrière eux », a lancé l’avocat Arié Alimi, représentant de la LDH.

    S’adressant au ministre de l’intérieur Gérald Darmanin et à Emmanuel Macron, Emmanuel Vire, le dirigeant de la branche des journalistes de la CGT, les a exhortés à lire les articles publiés à l’étranger : « Il n’y a qu’en France qu’on a ces problèmes de maintien de l’ordre. En Allemagne, en Italie, en Grande-Bretagne, les confrères journalistes hallucinent, c’est inexplicable ce qui se passe ici ! »

    Son homologue Emmanuel Poupard, à la tête du SNJ, premier syndicat de la profession, a jugé que « la France est en train de violer le droit international » : « Il y a une tentative nette du ministre de l’intérieur de tenir les stylos des journalistes, leurs caméras et leurs images. »

    A Paris, des milliers de manifestants pour contrer la «dérive liberticide» du pouvoir

    © D.I.

    Ce sentiment est partagé par un grand nombre de journalistes sur place, et en premier lieu ceux dont le métier est de faire des images. Raphaële Shapira est membre du bureau de la SDJ de France 2. « On sent qu’il y a une vraie inquiétude collective, confie-t-elle. Une ligne a été franchie, et j’espère que cela va déclencher une réaction forte et unie de la profession. » Elle se félicite de la prise de position collective des directions de nombreuses rédactions s’opposant à la volonté affichée du ministre de l’intérieur de limiter la liberté de la presse.

    À ses côtés, Élise, reporter pour « Envoyé spécial », mesure les conséquences concrètes de cette loi si elle était appliquée : « J’ai réalisé des enquêtes sur les violences policières, et je ne pourrai plus le faire : la matière première de ces reportages, ce sont les images tournées par des amateurs, puisqu’il est rare qu’on tombe sur des scènes de violence policière quand on débarque avec une caméra. »

    Et même si l’article 24 tel qu’il a été voté entend garantir les libertés fondamentales, « on sait bien comment ça va se passer », juge la journaliste : « Quand on travaille sur ce type de sujets sensibles, les services juridiques sont là pour protéger les chaînes de télévision de toutes poursuites éventuelles. On va donc s’autocensurer pour éviter tout risque, c’est dramatique. »

    D’autres professionnels de la caméra sont encore plus inquiets. Pascal, Laurent et Pierre-Olivier, tous quinquagénaires, sont documentaristes, vendant leurs films aux chaînes publiques. « On a tous fait des films avec la police », glissent-ils. Ils anticipent déjà les obstacles qui pourraient se dresser devant eux : « Nous n’avons pas de carte de presse, et on va commencer à nous refuser de filmer dans les manifestations. Qu’est-ce qu’on fera alors ? On filmera en caméra cachée, comme dans les dictatures… »

    « En tant que documentaristes, nous revendiquons le droit de décrire la réalité avec un regard, une sensibilité particulière, insistent-ils. Pour préparer nos films, nous passons notre temps à écrire des notes d’intention. Nous n’avons aucune envie qu’un juge vienne décider si nos intentions sont bonnes ou non ! »

    A Paris, des milliers de manifestants pour contrer la «dérive liberticide» du pouvoir

    © D.I.

    Les premières tensions entre la police et les manifestants arrivent peu avant 17 heures. Les premières bouteilles sont jetées sur les cordons de policiers. « Flics, violeurs, assassins », entend-on, alors que de nombreuses caméras sont braquées sur une poubelle brûlée. Les manifestants décidés à en découdre sont très jeunes. Habillés en noir, ils saisissent au sol des projectiles pour les lancer sur les policiers qui bloquent la rue. Julien, troubadour gilet jaune grimé en Dark Vador, chante : « À bas l’État policier ! », sur un air repris à Dominique Grange, égérie de Mai-68.

    À 18 heures, les canons à eau de la police sont en position. Un groupe d’une vingtaine de jeunes danse sur de la musique électronique. « On représente les “free party”, on veut danser librement sans se faire matraquer et gazer », explique un jeune homme 18 ans, qui se présente par son « blase de teuf », Malaba. Les canons à eau inondent la rue, les danseurs et les manifestants à plusieurs reprises.

    Les CRS avancent pour faire reculer les derniers participants. Matraque à la main, certains s’en servent pour intimider un jeune homme en train de filmer. Ils sont plusieurs à tourner des images. « Je ne filme par pour moi, précise Janvion, 38 ans. Les images sont diffusées sur la page Facebook “Soutien à tous les gilets jaunes en prison”. Leur loi va passer, mais on va continuer à filmer, même en direct. »

    Il est 18 h 30, la plupart des manifestants de l’après-midi sont rentrés. Il reste quelques centaines de jeunes devant la majestueuse entrée de la Cité de l’architecture et du patrimoine. Un syndicaliste de Sud, gilet rose sur le dos, crie devant les barricades : « Ils nous nassent, c’est complètement illégal. On est déjà dans un État fasciste ! » Derrière la barrière, un policier filme la foule avec une caméra au bout de son trépied.

    Mais ce sont d’autres images que beaucoup garderont de cette journée. Par exemple celle-ci : devant les grilles barrant l’accès à la tour Eiffel, se sont installés les cuivres et les percussions de la Fanfare invisible, au rendez-vous de toutes les mobilisations et capable de jouer sans broncher sous les gaz lacrymogènes. Au son tranchant de Bella Ciao, ils font danser une bonne centaine de personnes.

    Dans l’après-midi, David Dufresne, le journaliste qui recense méticuleusement les violences policières depuis des mois, a résumé simplement le sentiment de beaucoup de ceux qui se sont rassemblés dans la foule : « Putain, ça fait du bien. »

    SOURCE : https://www.mediapart.fr/journal/france/211120/paris-des-milliers-de-manifestants-pour-contrer-la-derive-liberticide-du-pouvoir?utm_source=20201121&utm_medium=email&utm_campaign=QUOTIDIENNE&utm_content=&utm_term=&xtor=EREC-83-[QUOTIDIENNE]-20201121&M_BT=25840487733 

    « La démocratie meurt dans l’obscuritéAlgérie : Macron de nouveau taxé d'ingérence par l'opposition algérienne »

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :