• Henri Pouillot : « L’Algérie a eu 600 à 800 Oradour-sur-Glane rasés au napalm »

    Henri Pouillot :

    « L’Algérie a eu 600 à 800

    Oradour-sur-Glane rasés

    au napalm »

     

    L'anticolonialiste Henri Pouillot à Sidi Bel-Abbes. Photo DR

    De passage, en fin de semaine écoulée, à Sidi Bel-Abbès, où il a animé une conférence-débat à l’intention des étudiants de l’Université Djillali Liabès, le militant des droits de l’Homme Henri Pouillot, auteur du livre «Villa Susini», a bien voulu revenir sur certains chapitres de sa communication intitulée «La pratique de la torture institutionnalisée en Algérie coloniale», notamment celui évoquant l’affaire Maurice Audin, assassiné par les parachutistes le 21 juin 1957, qui n’a pas encore révélé tous ses secrets.

    Entretien réalisé par Mouloud Elias 

    A moins d’un mois de la 58e année de la disparition de Maurice Audin, êtes-vous en possession d’éléments nouveaux susceptibles d’éclairer les zones d’ombre entourant encore les circonstances de son arrestation, de son exécution et de la disparition de son corps ? 

    Il y a des choses qui ont, quand même, un petit peu évolué dans cette affaire, dans la mesure où, jusqu’au mois de juin dernier, la version officielle restait toujours que Maurice Audin s’était évadé et que rien n’avait changé dans cette version. Il y avait la version officieuse définie par Pierre Vidal-Naquet selon laquelle Maurice serait mort sous la torture. Mais il n’y avait pas eu d’autre changement. Depuis la disparition de son mari, Josette Audin se bat sur cette question. Elle est intervenue auprès de Nicolas Sarkozy dès qu’il avait été élu pour essayer de lui demander à pouvoir obtenir enfin des informations concernant la disparition de son mari. Nicolas Sarkozy n’avait même pas répondu à la lettre. C’est, d’ailleurs, pour cela que la fille de Maurice et Michèle Audin avait refusé la légion d’honneur que lui avait proposée Nicolas Sarkozy en contestant justement cet aspect de mépris par rapport à sa famille et  par rapport à la mémoire de son père. Donc, on est encore à ce stade de la connaissance des faits. Le comité Maurice Audin, qui continue de fonctionner, n’a eu de cesse d’intervenir pour essayer d’avoir des informations. C’était le cas avec l’élection de François Hollande qui s’est engagé, en tant que candidat à la présidence de la République, de prendre position pour que l’Etat français reconnaisse enfin ce crime d’Etat en tant que tel et le condamne. Sa campagne électorale «le changement c’est maintenant» était révélatrice de ce point de vue. Josette Audin avait relancé François Hollande lui redemandant que, enfin, des informations concrètes lui soient transmises sur la disparition de son mari. François Hollande a répondu qu’il ferait le nécessaire pour transmettre le maximum d’informations. Quelques mois après, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drina, a transmis un dossier ultra léger dans lequel il n’y avait pratiquement très peu de choses concernant cette disparition. Le comité Audin ne s’est pas satisfait et a continué à intervenir. Il a ‘relancé’ une lettre en particulier à deux mois avant l’attribution du prix ‘Maurice Audin’ de mathématiques décerné à Paris.  A cette occasion, François Hollande a reçu Josette Audin le 17 juin, le prix a été remis le 18 juin,  et envoyé un communiqué officiel au comité Audin. Dans ce comité, il y a deux choses importantes qui sont dites: d’après les documents et les témoignages qui sont concordants, Maurice Audin ne s’est pas évadé mais mort en détention. C’est un aspect important qui remet enfin en cause la version officielle de l’évasion… Mais, elle est totalement insuffisante parce que «mort en détention» quand on a 25 ans, ce n’est pas naturel. Surtout qu’en plus dans ce communiqué, il est fait état de documents et témoignages… Et ces documents et ces témoignages n’ont pas été communiqués à qui que ce soit. Donc, cela n’est pas acceptable… Dans la mesure où ils sont évoqués et ne sont pas diffusés. 

    Ce n’est pas acceptable, c’est le moins qu’on puisse dire, sachant que la France a une tradition bien établie en matière de conservation des archives. 

    Je pense que par rapport à un certain nombre d’archives, en particulier pendant la guerre d’Algérie. Il y en a eu beaucoup qui ont été détruites dès le départ. Par exemple, pour la Villa Susini où j’étais, j’ai su par un coup de téléphone que j’ai eu de l’officier qui m’a remplacé après mon départ, que tous les documents ont été jetés. Il y a toute une série d’archives de cette nature qui a disparu purement et simplement. 

    Certaines sources confirment, pourtant, qu’à l’époque coloniale, certains «types» de documents étaient toujours produits et conservés en plusieurs exemplaires. Un cas significatif, celui d’Aussaresses et d’autres officiers qui ont pris les précautions d’en garder des copies à titre  personnel. 

    En dehors des archives, il y a aussi des éléments qui peuvent rester. De cette époque-là, il y a des militaires qui sont encore vivants. De l’équipe qui était présente au moment de l’arrestation de Maurice Audin et ayant  géré sa détention à la Villa Susini, il y a vraisemblablement des gens qui sont toujours de ce monde. D’ailleurs, ce qui est important, il y a un nombre de faits nouveaux qui est apparu depuis deux ou trois ans… En particulier les révélations d’Aussaresses à Jean Charles Deniau. Puis, il y a eu surtout le document de Nathalie Funès, journaliste du Nouvel Observateur, qui a retrouvé dans les notes du colonel Godart, des archives découvertes aux Etats-Unis selon lesquelles c’est l’équipe d’Aussaresses (il venait de quitter cette responsabilité à cette époque-là) qui aurait la responsabilité de l’assassinat de Maurice Audin. C’est sans doute le lieutenant Gérard Garcet de l’infanterie coloniale vivant actuellement en Bretagne qui serait responsable de son assassinat. Je reviens à Aussaresses qui a fait deux sérieux témoignages, une première fois où il a donné les quelques éléments d’information sur les circonstances de la détention de Maurice Audin… Mais, c’est surtout dans le deuxième témoignage qu’il aura eu à confirmer la version de Nathalie Funès et l’éventualité que son cadavre soit enterré dans la banlieue d’Alger, aux environs de Koléa. Donc, c’est dans cette région, où  il y a beaucoup d’Algériens qui ont été assassinés et jetés dans des fosses, qu’Aussaresses a laissé entendre que c’était sans doute là que l’armée se serait débarrassée du corps d’Audin. Dans la presse algérienne, il y a eu trois articles qui évoquent ce problème du lieu et des conditions dans lesquelles Maurice Audin aurait été enterré. A la suite d’un reportage diffusé par la Tv algérienne sur le sujet, il semble que ce sont des moudjahidine d’El Koléa qui ont fait une petite enquête auprès des vieux qui pouvaient être dans cette région à cette époque-là. C’est là qu’a pu se manifester un jeune berger, d’une quinzaine d’années au moment de ces faits, qui gardait une vache qu’il faisait paître souvent dans le cimetière d’El Koléa. Très souvent, il voyait venir des groupes de militaires se débarrasser de corps d’Algériens exécutés sommairement ou morts sous la torture. Quand c’était le cas, l’adolescent informait les proches et les voisins qui essayaient ensemble de déterrer les morts pour les identifier et pouvoir informer les familles concernées pour que les défunts puissent être enterrés dignement. Et un jour, il a vu l’armée amener un corps et il a constaté que ce ne pouvait être un Algérien mais un européen plutôt. Il l’a décrit avec habillement etc… Et, en voyant le témoignage d’Aussaresses à la télévision,  il a pensé que ce ne pouvait être que «lui», Maurice Audin en l’occurrence. 

    A la suite de cela, je sais que Josette Audin, par l’intermédiaire de son avocat, est intervenue auprès des autorités algériennes pour essayer de demander qu’il y ait des recherches de faites à ce sujet-là. Si tel est le cas, la tombe est identifiée et on pourrait retrouver  des ossements pour réaliser les tests ADN…  A ce jour je ne sais pas si le gouvernement algérien a réagi ou pas ou compterait le faire bientôt en coopération avec son homologue français. Hollande est annoncé pour une prochaine visite en Algérie, ce serait quand même important pour nous autres de le savoir.  

    Si, d’ici là, l’on pouvait avoir quelques informations sur des recherches possibles permettant des avancées significatives dans ce domaine. A ce jour, je n’ai pas d’autres témoignages permettant de voir plus clair dans l’affaire. Le premier novembre dernier, j’ai eu l’occasion de rencontrer à Alger le témoin de Koléa et certains des  journalistes qui ont recueilli sa déclaration. 

    L’exécution et la disparition de Maurice Audin nous renvoient à la tragédie plurielle vécue durant la colonisation par l’ensemble du peuple algérien… Et tout particulièrement la pratique de la torture, thème de votre conférence-débat, aujourd’hui, avec les étudiants en histoire de l’université de Sidi Bel-Abbès. 

    Compte tenu de ce que j’ai vécu, pour moi, le problème de la torture est capital. Tant que la France n’a pas reconnu sa responsabilité dans ce domaine,  je me sens en tant que Français dans une position plus qu’inconfortable. C’est inacceptable que la France, qui revendique être le pays des droits de l’Homme, persiste dans une telle politique du déni, de l’hypocrisie et, par contre, se permette, à tout moment de donner des leçons dans ce domaine.  Je prends des exemples concrets. Depuis qu’il est élu, François Hollande  a lancé un conscrit en disant que c’est inacceptable que l’Irak puisse utiliser le gaz Sarin ou le gaz VX. Pendant la guerre d’Algérie, la France a utilisé le gaz et n’a toujours pas reconnu cet aspect. Le 4 septembre 2013, à l’occasion d’un hommage aux victimes du massacre d’Oradour-sur-Glane, le Président allemand Joachim Gauck a tenu à reconnaître les méfaits du nazisme. En Algérie, on a eu 600 à 800 villages rasés au napalm du type Oradour. Même si ce n’est pas dans une église, ce sont des villages entiers avec des femmes, enfants et vieillards qui ont été brûlés vifs par le napalm. Et ce n’est pas reconnu à ce jour. On ne peut pas avoir deux poids deux mesures ou donner des leçons à l’extérieur et ne pas  reconnaître ses responsabilités devant l’histoire. Le troisième exemple qui me semble aussi scandaleux, c’est par rapport aux massacres du 8 Mai 1945 de Sétif. C’est inacceptable qu’un ministre français vienne un mois avant se recueillir devant la stèle de Salah Bouzid et éviter de  le faire le 8 mai d’après. Même s’il était chargé de présider des cérémonies en France, il aurait pu venir en avion et prendre part à celles organisées à Sétif. Comme c’est inacceptable à mon sens que la Fondation du 8 mai 1945 ne soit, au grand jamais, sollicitée par les officiels français.  Il y a encore des manifestants encore vivants qui auraient pu être invités et reconnus comme tels dans cette tragédie. C’est vraiment ne pas respecter le peuple algérien de faire un mini-geste de ce genre là qui n’est pas à la hauteur du tout de ce que représente ce crime contre l’humanité commis par la France. Qu’attend Hollande pour suivre l’exemple donné par son homologue allemand ? 

    M.E.

    SOURCE :  http://www.impact24.info/henri-pouillot-lalgerie-a-eu-600-a-800-villages-du-type-oradour-sur-glane-rases-au-napalm/

     

    « Qui est Henri Pouillot ? *** La Villa Susini *** « De retour de Sidi Bel Abbès » 22 mai 2015 *** L’Edito d’Henri Pouillot Hommage à Germaine Tillion : le courage et le sens de l’honneur »

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