• Les quartiers populaires font le bilan de deux mois d’état d’urgence

    Les quartiers populaires font le bilan de deux mois d’état d’urgence

    Le 15 janvier dernier, la coordination nationale “Pas sans nous” faisait le bilan de l’état d’urgence à la Bourse du travail de Saint-Denis, avec Pierre Joxe en guest-star.

    3 021 perquisitions, 381 assignations à résidence, le tout effectué sans contrôle d’un juge du fait de l’état d’urgence décrété le 14 novembre, mais pour quel résultat ? Trois enquêtes préliminaires confiées à la section antiterroriste, et une seule mise en examen pour terrorisme. “Le rapport entre les moyens déployés et les résultats obtenus laisse à désirer”, lance Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des Droits de l’homme (LDH), depuis la salle de la Bourse du Travail de Saint-Denis (93), ce 15 janvier. A l’appel de la Coordination nationale Pas Sans Nous – qui se définit comme un syndicat des quartiers populaires –, des dizaines d’intervenants se sont succédés à la tribune pour faire le bilan de l’état d’urgence, deux mois après sa mise en application.

    Inquiétude et frustration

    Craintes d’une “constitutionnalisation” de celui-ci, constat de la répression des mouvements sociaux au prétexte de lutte contre le terrorisme, sentiment de discrimination des habitants des quartiers populaires et des binationaux du fait de la proposition de loi constitutionnelle sur la déchéance de nationalité… Force est de constater que l’état d’esprit des associations et des citoyens est à l’inquiétude et la frustration. Entre chaque intervention, les témoignages fusent, et les exemples d’abus foisonnent : du Pepper Grill perquisitionné un samedi soir à Saint-Ouen-l’Aumône sans qu’une saisie ni interpellation ne soit effectuée, à celle des maraîchers bio en Dordogne, en passant par l’immeuble entier visé par une perquisition dans un quartier populaire – “évidemment” – à Pont-de-Claix (Isère). “Une partie de la population se sent en situation d’accusée, car le discours dominant est un discours non officiellement discriminant, mais qui l’est dans la pratique”, poursuit Michel Tubiana.

    Outre le manque et les défauts de la médiatisation des dérives de l’état d’urgence, et la faiblesse de Conseil constitutionnel et du Conseil d’Etat en tant que contre-pouvoirs, il est surtout question de la déchéance de nationalité.

    Le réquisitoire de Pierre Joxe

    Les quartiers populaires font le bilan de deux mois d’état d’urgence

    Entre deux interventions d’une assemblée plutôt jeune et métissée, un grand homme aux cheveux blancs, aux sourcils épais et aux yeux bleus se lève et prend le micro. C’est Pierre Joxe, l’ex-ministre socialiste qui avait lancé fin décembre un appel vibrant à “la gauche bien vivante” pour qu’elle rejette le projet de loi constitutionnelle sur la déchéance de nationalité.

    En quelques minutes d’un discours à la fois emprunt de sérénité et de fermeté, celui qui fut aussi le premier président du Conseil constitutionnel condamne de nouveau cette proposition qui concerne les binationaux, en puisant dans sa propre histoire :

    “J’étais enfant en Algérie : mon père s’est retrouvé exilé là-bas après avoir été viré par Vichy. J’ai vu ce que c’était que le régime colonial, un pays où il y a deux niveaux de nationalité. A l’époque il y avait les Français de souche européenne, et les Français de souche nord-africaine, qui n’avaient pas les mêmes droits […]. Pendant cette période, de 1941 à 1944, j’ai vu ce que c’était que l’inégalité devant le droit. […]

    Le débat qui s’est ouvert sur la déchéance de nationalité – malheureusement par un gouvernement à direction socialiste – est très grave, car qui est atteint par cette réforme ? Sur les 3,5 millions de binationaux en France, 3 millions sont franco-maghrébins. La suspicion est donc jetée sur une partie de la population française, des gens nés en France pour la plupart, et cela nous rattache à la période coloniale. Qu’est-ce que c’était que l’état d’urgence en 1954 ? C’était la suspension de certaines libertés. L’état d’urgence est un état de droit diminué, mutilé, qui crée des éléments de racisme, d’intolérance et de discrimination. Quelle est la symbolique recherchée ? Faire une distinction entre les Français ? Ou plaire à une partie de l’électorat ou du Parlement pour obtenir un vote ? Dans un cas comme dans l’autre c’est détestable”.

     “Citoyen entièrement à part, plutôt qu’à part entière” 

    En fin de meeting, un événement d’actualité vient renforcer les motifs de griefs et les inquiétudes de la salle : l’acquittement du policier qui a abattu Amine Bentounsi, un délinquant de 28 ans, d’une balle dans le dos en 2012 – verdict conclu au nom de la légitime défense. “Quand on voit que 50% des policiers et des militaires ont voté FN en 2015, cela m’inquiète, car que feront-ils si on leur donne la possibilité d’agir en dehors de la légitime défense ?”, s’exclame Mohamed Mechmache, ancien président d’AC-Le Feu et membre de Pas sans nous. Et Youcef Brakni, de l’Association de prévention intercommunale citoyenne, de conclure amèrement sur un mot d’Aimé Césaire : “Citoyen entièrement à part, plutôt qu’à part entière”.

     

    Un «droit de tuer»

    Pour Maître Michel Konitz, l'avocat de la famille Bentounsi, «ce genre de décision ne peut que monter la population contre la police, elle montre qu'il y a des personnes qui ont le droit de tuer en dehors de la légitime défense». «Il était démontré que Damien Saboundjian a menti, que son collègue a menti. Je suis écoeuré», a-t-il affirmé. Sur i-Télé, le juriste a estimé que «cette décision doit nécessairement être frappée d'un appel», assurant que «tout au cours des débats, il y avait une sorte d'unanimité pour s'étonner de la façon dont on ne questionnait pas l'accusé».

    «Cet acquittement c'est trop. On s'attend à un minimum de justice» mais «c'est clair, il y a une justice à deux vitesses» , a également fustigé sur France Info Laëtitia Nonone, présidente de l'association Zonzon 93, engagée dans la prévention de la délinquance. «J'ai un père qui était flic. Je sais ce que c'est que d'être policier. Je sais ce que c'est une bavure policière», a-t-elle affirmé.

    Le policier de 35 ans, qui a invoqué depuis le départ la légitime défense mais dont la défense était gênée par des faux témoignages de ses collègues, risquait 20 ans de réclusion. Contrairement à l'accusation qui avait requis cinq ans de prison avec sursis et une interdiction d'exercer, la cour a estimé que Damien Saboundjian avait agi en état de légitime défense et qu'il n'était donc pas pénalement responsable de la mort d'Amine Bentounsi, tué lors d'une course-poursuite dans les rues de Noisy-le-Sec en Seine-Saint-Denis le 21 avril 2012.

    SOURCE : http://www.lesinrocks.com/2016/01/17/actualite/les-quartiers-populaires-font-le-bilan-de-deux-mois-detat-durgence-11798611/

     

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