Pont Saint-Michel à PARIS
15 octobre 2014 | Par albert herszkowicz
Cinquante trois ans après le massacre du 17 octobre 1961, cet été, à Wissous, petite ville tranquille de la grande couronne parisienne, Richard Trinquier maire de la commune, apologue assumé de l'OAS , enclenchait une campagne de peur contre ses administrés musulmans: après avoir vainement tenté d'interdire les femmes voilées de piscine, lui et son équipe allaient publier par voie d'affiche les identités des femmes qui avaient osé contester sa mesure discriminatoire en justice, et appeler sur Facebook à la violence contre l'ensemble des musulmans.
Ceci entraina effectivement le harcèlement de nombreuses habitantes. A ce jour, Richard Trinquier n'a pas été exclu de l'UMP.
Lorsque Richard Trinquier, islamophobe convaincu, fils de feu le colonel Roger Trinquier, parachutiste pendant la guerre d'Algérie a voulu rebaptiser une rue au nom de Salan, chef de l'OAS
Richard Trinquier maire de Wissous
Wissous, la petite ville tranquille
où les islamophobes se lâchent
C'est un village sans histoires, un des coins les plus paisibles de l'Essonne, curieusement épargné par l'urbanisation, à seulement 15 kilomètres de Paris. Avec une église du XIIe siècle, une grange aux dîmes, un lavoir, des maisonnettes entourées de jardins, des parcs, des champs, des étangs, des perruches, des abeilles...
Ca ? Ce sont les femmes voilées qui "ont conquis", dit-elle, la bourgade de Wissous. Ici, depuis cet été, les propos islamophobes ne sont plus uniquement chuchotés. La parole s'est libérée. L'autre jour, Malek, une mère de famille de 37 ans, foulard en soie beige et lunettes de soleil Chanel, a entendu crier "Oh, la putain !", alors qu'elle passait devant un bar en centre-ville avec son fils de 9 ans.
Un après-midi où elle ramenait ses enfants de l'école La Fontaine, Delphine, jeune convertie de 27 ans, s'est fait doubler par une voiture, d'où a jailli un "Vive la France !" D'autres ont été traitées de "salopardes" ou interpellées dans la rue d'un "merci les allocations". Le matin de la rentrée, à l'école Victor-Baloche, un père de famille a même râlé, ostensiblement :
Bachir, restaurateur, 60 ans, et Merem, 36 ans, sont installés à Wissous depuis deux ans et n'avaient "jamais connu ce genre de réaction. Maintenant, on nous regarde comme si on était des bêtes curieuses".
Tout a commencé début juillet. Le maire UMP Richard Trinquier [contacté par "le Nouvel Observateur", il a refusé de s'exprimer], réélu après six ans d'intermède socialiste, décide d'interdire le hidjab dans le stade du Cucheron, transformé en station balnéaire avec sable, transats et rebaptisé Wissous-Plage le temps d'un été. Pour refouler les contrevenantes, l'édile en personne fait le guet le jour de l'ouverture. Deux mères de famille et leurs enfants doivent faire demi-tour. Le Collectif contre l'Islamophobie en France (CCIF) et quinze Wissoussiennes musulmanes portent alors l'affaire devant le tribunal administratif de Versailles. La justice suspend le règlement à deux reprises, le 12 juillet puis le 12 août. Fin du premier épisode.
Mais Richard Trinquier n'est pas homme à s'avouer vaincu. Fils de feu le colonel Roger Trinquier, parachutiste de la 10e DP pendant la guerre d'Algérie, le maire s'était déjà illustré lors de ses deux précédents mandats pour avoir équipé ses policiers municipaux de 357 Magnum et de fusils à pompe, pour s'être octroyé le port d'arme par arrêté municipal et pour avoir voulu rebaptiser une rue au nom du général Raoul Salan, chef de l'OAS.
Cette fois, il a l'intention de poursuivre le combat anti-islam sur internet. Sur sa page Facebook, il publie le jugement du tribunal, les noms et adresses des plaignantes, poste ce qu'il appelle une "photo de famille", une mère et sa fille en burqa, entourées de deux sacs-poubelle noirs, annonce qu'il n'accordera pas de salle à l'association Al Madina spécialisée dans les cours d'arabe :
Son équipe municipale fait dans la surenchère.
Et des habitants de Wissous se lâchent.
La plupart des plaignantes reçoivent des lettres anonymes : des articles de Riposte laïque, de Boulevard Voltaire, "Le voile ? Les Français en ont ras la casquette" ... La ville ne compte guère plus d'une centaine de familles musulmanes pour un total de 7.000 habitants, selon les estimations de l'association Al Madina. Elles étaient seulement une dizaine au début des années 2000. La plupart se sont installées récemment.
La ville gagne 2.000 habitants d'un coup. Une habitante se souvient : certains Wissoussiens commencent à murmurer "qu'il n'y a pas que du beau monde parmi les nouveaux arrivants. Un rejet latent s'est sans doute cristallisé et attendait de se manifester".
Aujourd'hui, la page Facebook de Richard Trinquier a été expurgée de ses propos anti-islam. Le préfet et le député de l'Essonne François Lamy ont saisi le procureur de la République. Le bureau politique de la fédération UMP du département, réuni ce 26 septembre, risque de sanctionner le maire s'il ne s'est pas engagé par écrit à se désolidariser et à réorganiser son équipe municipale.
Wissous, ville conservatrice, plus aisée que la moyenne du département, et qui se sentait si éloignée des barres HLM de Massy, la cité voisine, vient de célébrer la fête de la patate, comme tous les ans. Au forum des associations, le club de tir à l'arc avait recouvert la cible d'une image de cochon et offrait un saucisson aux gagnants.
Nathalie Funès – Le Nouvel Observateur
(PS) Les caractères en rouge sont des liens sur lesquels vous pouvez cliquer
Cet épisode, comme tant d'autres, illustre l'héritage toujours vivant et toujours nuisible de la guerre d'Algérie et des pro-Algérie française: il n'est pas anodin qu'une partie des maires FN nouvellement élus, tels Fabien Engelmann de Hayange, revendiquent leurs ascendants colons. Il n'est pas anodin non plus que le nombre de stèles rendant hommage à l'OAS soit en hausse depuis le début des années 2000. Il est à noter que Richard Trinquier prolonge explicitement les "valeurs" de son père, le tristement célèbre colonel Roger Trinquier qui s'est illustré en tortionnaire puis en militant OAS lors de la guerre d'Algérie. Trinquier père était un ami personnel de Jean-Marie Le Pen et comptait se présenter aux législatives de 1986 sous l'étiquette FN; il est décédé juste avant.
Dans un pays où l'accusation de "communautarisme agressif" est si couramment répandue envers les Français d'origine algérienne, cette accusation peut-être facilement retournée contre toutes celles et ceux qui montent sur les grands chevaux de l'Histoire dès que des gamins soutiennent l'équipe de foot algérienne, seule équipe pour qui l'on supprime des écrans géants dans les communes dans les soirs de match, pour les remplacer "préventivement" par des escadrons de CRS.
Cette année, deux Algériens au moins sont morts alors qu'ils étaient dans les mains de la police française: Abdelhak Goradia , sans-papiers décédé d'une asphyxie pendant une tentative d'expulsion, et Hocine Bouras tué d'un coup de feu par la gendarmerie lors d'un transfert entre la prison et le tribunal de Colmar, dans l'indifférence médiatique et politique, qui accompagne la perpétuation de l'arbitraire policier , d'une zone grise, hors du droit, qui perdure dans ses rapports avec certaines parties de la population.
Cinquante trois ans après un massacre survenu lors d'une manifestation pacifique, le racisme anti-algérien et sa virulence témoignent toujours d'un passé qui ne passe décidément pas, et continue d'inspirer les politiques et les discours tenus contre l'ensemble des immigrés et des issus de l'immigration. En témoigne, parmi d'autres exemples, l'omniprésence médiatique d'un Eric Zemmour, qui lorsqu'il n'est pas occupé à réhabiliter l'antisémitisme d'Etat de Vichy, déverse sa haine contre les jeunes d'origine d'algérienne à longueur de tribune.
Ce 17 octobre, Mémorial 98 se joint donc à l'appel du Collectif 17 octobre 1961 : rassemblons-nous à Paris sur le Pont Saint Michel, ainsi que dans les autres commémorations, en mémoire des camarades assassinés par la police française ce jour là, en mémoire aussi de l'espoir qui les animait, eux et tant d'autres, celui d'un monde d'égalité.
Le rassemblement sera suivi à Paris d'un colloque en hommage à Jean-Luc Einaudi , historien et témoin lors du procès contre Maurice Papon (coordonnées en bas de l'appel ci-dessous)
Rassemblement le 17 Octobre 2014 à 17h30 au Pont Saint Michel à PARIS
Le 17 octobre 1961, des dizaines de milliers d’Algériens manifestaient pacifiquement à Paris contre le couvre-feu discriminatoire qui leur avait été imposé par Maurice Papon, préfet de police de Paris et le Gouvernement de l’époque.
Ils défendaient leur droit à l’égalité, leur droit à l’indépendance et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Ce jour-là, et les jours qui suivirent, des milliers de ces manifestants furent arrêtés, emprisonnés, torturés –notamment par la "force de police auxiliaire" - ou, pour nombre d’entre eux, refoulés en Algérie. Des centaines perdirent la vie, victimes d’une violence et d’une brutalité extrêmes des forces de police.
53 ans après, la Vérité est en marche. Cependant, la France n’a toujours pas reconnu sa responsabilité dans les guerres coloniales qu’elle a menées, - en particulier la Guerre d’Algérie - non plus que dans le cortège de drames et d’horreurs qu’elles ont entraînés, comme ce crime d’Etat que constitue le 17 octobre 1961. Le17 octobre 2012, le Président de la République a certes fait un premier pas important, en déclarant "Le 17 octobre 1961, des Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance ont été tués lors d’une sanglante répression. La République reconnaît avec lucidité ces faits. Cinquante et un ans après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes."Mais le terme de crime n’est pas repris, et la responsabilité, sous entendue, n’est pas clairement définie.
Nous demandons une parole claire aux autorités de la République, au moment où certains osent encore aujourd’hui continuer à parler des "bienfaits de la colonisation", à célébrer le putsch des généraux à Alger contre la République, à "honorer" les criminels de l’OAS.
Dans ce domaine, il est donc nécessaire que des mesures significatives soient prises :
- Redéfinition de la "Fondation pour la mémoire de la Guerre d’Algérie ", créée en application de l’article 3 de la loi du 23 février 2005 (dont l’abrogation est demandée sous sa forme actuelle) vantant les "aspects positifs de la colonisation". Cette Fondation est sous la coupe d’associations nostalgiques de l’Algérie Française qui voudraient exiger des historiens qu’ils se plient à la mémoire de "certains" témoins.
- Que la création d’un lieu de mémoire voué à cet événement, demandée dans la résolution votée par le Sénat en octobre 2012 qui reconnaissait elle aussi ce massacre, soit rapidement mise en œuvre par les autorités de l’Etat, de la Ville de Paris et la Région Ile-de-France
- Pour être fidèles à leur mission scientifique, les historiens ont besoin de pouvoir accéder librement aux archives, échapper aux contrôles des pouvoirs ou des groupes de pression et travailler ensemble, avec leurs homologues de l’autre rive de la Méditerranée.
- La vérité doit être dite sur l’organisation criminelle de l’OAS que certains, au sein de l’ancienne majorité présidentielle ont voulu réhabiliter.
Ce n’est qu’à ce prix que pourra disparaître la séquelle la plus grave de la Guerre d’Algérie, à savoir le racisme dont sont victimes aujourd’hui nombre de citoyennes et citoyens, ressortissants d’origine maghrébine ou des anciennes colonies, y compris sous la forme de violences policières récurrentes, parfois meurtrières.
On ne construit pas la démocratie sur des mensonges et des occultations. Après un demi-siècle, il est temps :
- Que le Président de la République, au nom de la France, confirme, par un geste symbolique, la reconnaissance et la condamnation de ce crime d’état
- que la Fondation pour la Mémoire de la Guerre d’Algérie soit redéfinie sur des bases totalement différentes.
- que l’Etat français reconnaisse sa responsabilité dans l’internement arbitraire, pendant la Guerre d’Algérie, d’Algériens dans des camps.
- que l’Etat français reconnaisse sa responsabilité dans l’abandon des harkis, les massacres et l’enfermement dans les camps en France en 1962.
- que la liberté d’accès aux archives soit effective pour tous, historiens et citoyens.
- que la recherche historique sur ces questions soit encouragée, dans un cadre franco-algérien, international et indépendant.
A l’occasion de ce 53ème anniversaire, nous exigeons Vérité et Justice.
Rassemblement le 17 Octobre 2014 à 17h30 au Pont Saint Michel à PARIS
Signataires (au 29 septembre 2014) :
Associations :17 octobre contre l’oubli, 4ACG (Anciens Appelés en Algérie et leurs Amis Contre la Guerre), 93 Au Cœur de la République, ACCA (Agir Contre le Colonialisme Aujourd’hui), Les Amis de Max Marchand, de Mouloud Féraoun et de leurs compagnons, ANPROMEVO (Association Nationale pour la Protection de la Mémoire des Victimes de l’OAS), ARAC (Association Républicaine des Anciens Combattants), Au nom de la Mémoire, FNACA de Paris (Fédération Nationale des Anciens Combattants d’Algérie), LDH (Ligue des Droits de l’Homme), MRAP (Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples), Réseau Féministe "Ruptures", Sortir du Colonialisme, Memorial 98
A 19h, Hommage à Jean-Luc Einaudi avec différents auteurs et témoins, Salle Jean Dame, 2 Rue Léopold Bellan 75002 Paris – s’inscrire : hommage@einaudi2014.fr
Voir aussi :
17 octobre 1961: un massacre colonial.
17 Octobre: la mémoire d'un massacre à Paris
17 Octobre 1961 : 50e anniversaire du massacre des Algériens.
Michel Slitinsky: hommage à un combattant
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