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À propos de la transformation de l’Algérie par la colonisation *** La réplique cinglante de Ferhat Abbas

À propos de la transformation de l’Algérie

par la colonisation

La réplique cinglante de Ferhat Abbas

À propos de la transformation de l’Algérie par la colonisation *** La réplique cinglante de Ferhat Abbas

Ferhat Abbas, premier président du GPRA

C’est une réponse faite en 1955 à des allégations mensongères proférées, aujourd’hui encore, par les nostalgiques de l’Algérie française.

Dans la foulée des initiatives mémorielles du président Emmanuel Macron, en rapport avec le passé colonial de la France, des voix acquises aux lobbies de l’Algérie française s’évertuent à trouver quelques bonnes actions de la colonisation en Algérie. L’argument de ces nostalgiques tiendrait dans le fait que la colonisation ait transformé le pays. Zemmour et consorts évoquent les villes, les hôpitaux, les routes pour convaincre leurs interlocuteurs français de métropole. « Les traces de l’action française en Algérie sont encore visibles », disent-ils. Cette même phrase a déjà été prononcée par un journaliste français qui, en 1955, interrogeait Ferhat Abbas, à l’époque encore président de l’UDMA. La réponse de celui qui allait être le premier président du GPRA était cinglante. « L’œuvre française en Algérie a transformé le pays. Mais elle l’a transformé à la manière d’un propriétaire qui s’empare de la maison de son voisin et qui l’aménage pour ses propres enfants et à leur goût ».
Le propos, très bien imagé, donne le ton du caractère raciste du système colonial. Ferhat Abbas poursuit sa démonstration en affirmant que la France a tout fait pour permettre à ses enfants «de vivre normalement, sans se préoccuper de ce que deviendraient les enfants du voisin ». Le tableau ainsi peint en 1955 résume assez bien « l’œuvre civilisatrice » de la France en Algérie. Tout pour les Français et rien pour les Algériens. Les arguments pour étayer son propos ne manquaient pas au leader politique algérien.

Pas d’écoles, pas de routes…

Tout en relevant que « l’élément autochtone a profité des routes. Il a profité de la transformation », Ferhat Abbas détruit cette thèse en relevant que «cette transformation a été faite au profit du colon, et uniquement au profit du colon.» C’est on ne peut plus clair. Et de souligner, comme pour précéder une protestation de son interlocuteur : « Ce qui a été fait pour l’autochtone a été fait à l’usage de la propagande. C’est resté à l’état de l’échantillon ».
Nous sommes en 1955 et Ferhat Abbas, répondant à la question d’un journaliste, lui a rappelé que «la prospérité du colon a pour origine d’abord notre asservissement. » Quant au budget de l’Algérie, «il est autonome depuis 1900, et indépendant par conséquent, du budget de la France. »
En évoquant l’aspect financier, le politique aguerri qui connaît parfaitement le fonctionnement de la métropole et de sa colonie, place le débat sur le terrain du concret. Posons-nous donc la question de savoir en quoi est traduit le système colonial sur le terrain ? « Lorsqu’il dépense 1000 francs pour un Français en Algérie, il ne dépense qu’un franc pour un Algérien », répond Ferhat Abbas. « Nous n’avons pas d’écoles. Il y a exactement 2 millions d’enfants algériens d’âge scolaire qui ne peuvent pas être scolarisés, alors qu’il n’y a pas un seul Français en Algérie qui ne soit pas scolarisé », poursuit-il, comme pour dire que les villes, les ponts et les routes ne scolarisent pas. Et évoquant la situation réelle vécue par les Algériens sous la colonisation, il assènera : « Nous n’avons pas d’écoles, pas de routes, pas d’hôpitaux. Les hôpitaux dont fait état la propagande française sont tous dans les grandes villes. C’est-à-dire qu’ils ont été édifiés pour l’usage de l’Européen ».

Le visage de la colonisation

C’est une réponse faite en 1955 à des allégations mensongères proférées, aujourd’hui encore, par les nostalgiques de l’Algérie française. Cette même Algérie française a fait bien pire ! « Nous avons été privés de nos meilleures terres. La fonction publique nous a été interdite. Notre commerce et notre agriculture sans soutien et sans crédit. La Justice, l’Armée, l’administration, sont exclusivement entre les mains de la minorité française », explique Ferhat Abbas calmement et sans passion. C’est la stricte vérité et le journaliste qui l’interviewait savait pertinemment tout cela, de même que les nostalgiques d’aujourd’hui.
Nous sommes en 1955 et le dirigeant indépendantiste algérien affirme que les siens « doivent se contenter d’être des soldats pour défendre la liberté de la France, des contribuables pour alimenter le budget de l’Algérie et de la main-d’œuvre à bon marché pour contribuer à la prospérité de l’élément européen. » C’est la stricte réalité de l’époque qu’aucun historien ni politique ne peut nier.
Les propos de Ferhat Abbas sont documentés. Il n’y a ni exagération, ni idéologie dans sa déclaration. C’est le véritable visage de la colonisation que décrivait un homme qui a passé une bonne partie de sa vie militante à chercher à convaincre les colons, qu’il était possible de vivre en harmonie sous la bannière de la République française. Il a rejoint le FLN parce qu’il a acquis la conviction que le système colonial est pourri, raciste et inhumain. À propos de transformation dont se prévalent les nostalgiques, « la transformation à laquelle vous faites allusion a été réalisée grâce au travail des Algériens et aux ressources propres à l’Algérie. Il n’y a pas eu de grands investissements de capitaux français en Algérie. » C’est dire donc que le système colonial a pillé, affamé, tué des millions d’Algériens pour faire vivre une poignée de colons. Il n’y a pas eu d’effort métropolitain ou quelques «attentions» qu’on pourrait attribuer aux pieds-noirs. « Ce qui a permis la transformation du pays, c’est ce qu’on a appelé les impôts arabes. Ce sont les ressources du pays et surtout le travail des Algériens. Et ça, on a tendance à l’oublier en France », conclut l’intellectuel algérien.

SOURCE : L'Expression: Nationale - La réplique cinglante de Ferhat Abbas (lexpressiondz.com)
 

 

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La rue d'Isly à Alger en 1957

La France de votre enfance (l’Algérie française) vous l’a décrivez ainsi... sauf que...

« Faut-il rappeler que sur un territoire sinistré, les pieds-noirs ont ouvert des routes, ont construit des villages puis des villes, ont défriché, ont ouvert les grandes voies de communications et ont contribué à façonner le pays. Puis la conquête de l’Algérie a été celle des instituteurs, des médecins, des ouvriers et des paysans qui ont contribué au développement et à la pacification d’une Algérie exsangue. La France n’a pas à rougir de ce qu’elle a fait là-bas ! »

Puis votre nostalgie prend le dessus et vous écrivez :

« Depuis mon départ, il ne s'est pas passé un seul jour sans que mes pensées volent vers toi. Je revois avec émotion et ravissement tes rues inondées de soleil, tes maisons aux murs blancs, tes plages au sable chaud. J'entends encore le bruit des vagues contre les rochers, les cris des enfants jouant dans la rue et celui des hirondelles volant dans un ciel d'azur.

Je voudrais pouvoir encore m'enivrer du parfum sublime des fleurs d'orangers, de citronniers, de jasmin, d'acacia, froisser entre mes doigts des feuilles d'eucalyptus, mâcher une caroube, m'asseoir enfin à l'ombre d'un figuier ou d'un néflier. Je voudrais encore pouvoir caresser le sable d'or du Sahara, contempler la beauté majestueuse des dunes du désert et la splendeur des palmeraies.

Je sens toujours ton soleil éclatant sur ma peau, le goût salé de l'eau de mer sur mes lèvres. Je m'étire, je respire doucement et m'abandonne pour m'imprégner complètement de tes saveurs et de tes richesses.
Alors je me sens revivre, mon cœur bat plus vite et se remplit d'espérance car tu es ma vie, mon refuge. »

Mais la France de votre enfance ce n’était pas que cela !!!

Le maréchal Lyautey proclamait : « Faire des maisons, construire des villes, dessiner des routes, c’est bien, mais il faut aussi élever les âmes de ceux à qui on les destine... Il faut faire de l’urbanisme jusqu’au cœur des hommes... Libérer l’homme de l’inégalité politique, de l’ignorance, du logement insalubre, de la maladie, de l’inégalité sociale et du chômage, telle est la mission que la France entendait remplir en Algérie. »

 

 

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Après tout ce que nous avons fait

pour eux ! 

C’était un argument avancé au moment de la guerre d’Algérie pour condamner ceux qui avaient pris les armes pour leur libération du joug colonial. Et ce alors que la France et les Européens avaient mis le pays en valeur, créant les infrastructures nécessaires à sa modernisation ! Des routes, des voies ferrées, des ponts, des barrages, des écoles, des hôpitaux, des bureaux de Poste… que sais-je encore, avaient été construits par la puissance coloniale !

L’idée a refait surface des années plus tard et Georges Frèche, a créé à Montpellier un musée de la présence française en Algérie.

Aujourd’hui Marine Le Pen en remet une couche en vantant les mérites de la colonisation. On est presque en droit de s’interroger : les Maghrébins à qui nous apportions les bienfaits de la civilisation n’étaient-ils pas quelque part un peu masochistes de refuser ce bonheur clé en main ? J’ai extrait d’un livre de dessins de Jean Effel que mon frère m’avait offert il y a une vingtaine d’années celui qui illustre le présent article. On y voit deux colons et un militaire suant sang et eau pour construire une route tandis qu’un indigène regarde leur travail à l’ombre d’un palmier en reniflant le parfum d’une fleur ! Il ne me semble pas nécessaire de développer davantage ! 

Jacques CROS

 

 

Deux sociétés juxtaposées.

Alain Ruscio - Historien

Le 19 mars 1962, l'Algérie et la France connaissaient leur première journée de paix depuis... 132 ans ! Cette affirmation peut surprendre.

Et, bien sûr, il n'est pas question d'affirmer ici que l'Algérie a été, en permanence et dans chacun de ses douars, à feu et à sang.
Il y eut des moments d'affrontement : la phase que bien des historiens appellent la première guerre d'Algérie, entre la conquête de 1830 et la reddition dans l'honneur de l'Emir Abd el Kader (1847), le soulèvement massif de Mokrani en 1871, les affrontements du Constantinois en 1945, enfin la seconde guerre d'Algérie, plus connue, de 1954 à 1962.
Il faut bien être conscient de la violence de ces guerres.

Oh, certes, les thuriféraires du colonialisme évoquent, aujourd'hui encore, celle des colonisés. Mais ils oublient deux choses. D'abord que ces actions furent une réponse à la violence fondamentale que représenta la conquête, puis l'établissement de la soi-disant paix française. Ensuite, la supériorité technique des Français fut toujours et partout écrasante, que ce soit grâce aux fusils Chassepot du début de cette histoire ou au napalm durant les années de guerre de 1954 à 1962.

Mais même hors de ces moments de paroxysme, la paix n'a jamais existé dans les coeurs.

Il faut dire que le racisme le plus dégradant a trop souvent été la principale idéologie de bien des Français d'Algérie. En témoignent mille faits, mille mots blessants (il n'est pas utile de reproduire ici le vocabulaire raciste, mais chacun l'a, hélas, encore en tête).
Trop souvent, le seul contact entre les membres des deux communautés furent ceux de supérieur à subordonné, quand ce ne fut pas de maître à domestique.
Que savaient les Français d'Algérie des indigènes, comme ils disaient? Neuf sur dix ne connaissaient pas la langue arabe, encore moins le kabyle.
Au travail, si les deux communautés se côtoyaient certains donnaient des ordres, les autres les recevaient, apparemment soumis.
Que pouvaient bien avoir à se dire, dans les champs, le colon et le fellah? Que pouvaient bien se dire dans les usines, le contremaître (99 fois sur 100, un Européen) et le manœuvre (toujours des indigènes)? Ou, dans les bureaux, le cadre européen et l'employé aux écritures : musulman?
Dans les quartiers? Dans certains, les enfants pouvaient jouer ensemble, jusqu'à un certain âge.
L'école, c'était plus rare, puisque tous les enfants européens étaient scolarisés, contre, en moyenne, un enfant musulman sur dix.
Par la suite, insensiblement, les préjugés l'emportaient.
Dès l'adolescence et, a fortiori, à l'âge adulte, une cloison étanche séparait les deux communautés (plus d'ailleurs, car à l'intérieur de chacune il y avait des sous divisions : Français de souche, Espagnols, Italiens, Maltais chez les Européens. Arabes, Kabyles, Juifs chez les indigènes.) À la maison, les familles ne se fréquentaient pas : trop de différence de niveau de vie (les plus pauvres des Européens - n'évoquons pas les gros colons - avaient tout de même l'eau, l'électricité, un minimum de confort... ce que ne pouvait espérer l'immense majorité des indigènes.), trop de différences de coutumes, de moeurs, de religions. Il était, par exemple, rarissime qu'un enfant d'une communauté épouse un enfant de l'autre. Quels indigènes pénétraient dans les maisons européennes? Les femmes de ménage (uniformément appelées Fatmas, ce qui était une blessure supplémentaire), parfois des ouvriers d'entretien, plombiers ou peintres. C'était à peu prés tout.
Quels Européens allaient chez les Musulmans? Pratiquement aucun. Car déjà, pour la plupart ces Musulmans vivaient dans des maisons très pauvres, certains dans de véritables gourbis, selon un mot très usité à l'époque, d'autres même dans les bidonvilles.
Il aurait fallu ensuite, pour le faire, un sacré sens de l'anticonformisme, il aurait fallu braver les regards et les «ont-dit » des autres Européens.
Dans la rue? Là encore, les deux communautés se côtoyaient sans se parler. Il y avait un phénomène bien connu, et du reste généralisé à toutes les colonies, des quartiers européens et des quartiers musulmans. Les européens n'allaient pratiquement jamais dans les quartiers musulmans.

Un Algérois pouvait passer sa vie dans la capitale sans jamais avoir mis les pieds dans la Casbah, par exemple. A contrario, il y avait quelques indigènes pour fréquenter les quartiers européens.

Quelques promeneurs, quelques Arabes évolués (vilain mot de l'époque coloniale), qui venaient acheter des produits et vêtements modernes. Mais la plupart venaient pour y travailler : les femmes de ménage ou les ouvriers, déjà cités, se rendant à leur travail, quelques employés de cafés et restaurants, les inévitables cireurs de souliers, au labeur dès l'âge de 5 ans. Il pouvait bien y avoir, parfois, des contacts. Beaucoup évoquent les traversées des villes en tramways. La cohabitation s'y faisait cahincaha mais n'empêchait pas les heurts : telle femme voilée adulte, interpellée par un jeune Européen, la sommant de donner sa place assise, tel autre Européen en faisant à voix hautes des remarques désobligeantes sur les odeurs... Le grand écrivain Kateb YACINE raconte une expérience vécue: « Dans un tramway, en 1950, l'Européenne de Bab el Oued, avec son lourd  couffin. A ses mains, à ses rides, la façon dont elle tient son bébé, son effarement encore souriant, on voit que cette jeune femme a eu déjà plusieurs enfants, qu'elle travaille dur, mais n'ignore pas la joie. On lui accorde immédiatement un préjugé de sympathie. Quant à son voisin, c'est l'Arabo-Berbère passé par un heureux hasard sur les bancs d'une école. Gravement moustachu, vêtu d'un bleu de chauffe, il dévore son journal.
Et tous deux coexistent au soleil des grands jours, un soleil justicier. On dirait d'eux, à première vue, qu'ils sont l'incarnation d'une Algérie paisible et fraternelle, celle de l'avenir. Mais le bébé n'est pas content. Il crie, il se démène, et sa mère le gronde, toujours en souriant :
- Tais-toi, ou bien l'Arabe va te manger.
- Non, Madame, les Arabes ne mangent pas de cochon.

Il a suffi de quelques mots. Le vieux tramway de l'Algérie française roule vers la catastrophe.» Il existe, fort heureusement, des exceptions.
De tous temps, il y eut, en Algérie, des Européens respectueux, ouverts à la diversité humaine et culturelle. Certains traduisent cela par la littérature (on pense à Isabelle Eberhardt), d'autres par l'oeuvre picturale (les tableaux d'Etienne Dinet), d'autres par leurs activités professionnelles (bien des médecins de campagne, la majorité des instituteurs, véritables héros des temps modernes, mais disposant de si peu de moyens), d'autres enfin par la charité (quelques religieux et religieuses qui n'étaient pas liés au système)...
Il faut faire ici une place à certains Européens d'Algérie qui choisirent le combat politique. C’étaient les « Internationalistes »
Leur stratégie n'a pas toujours été en adéquation avec la réalité. Mais il reste qu'ils ont dénoncé les atteintes aux libertés et les violences de l'ère coloniale, qu'ils ont tenté, avec d'autres, de tracer la voie vers la sortie du colonialisme. Surtout, il faut souligner une spécificité : ils ont été les seuls de toute l'histoire coloniale française (et peut-être mondiale) à réunir en leur sein des militants de toutes origines (Européens, Musulmans, Juifs), peu leur importait, ils étaient tous des Internationalistes… mais, hélas, ils n'ont pas été entendus. La société fraternelle qu'ils préconisaient n'a jamais vu le jour.
A la place s'est imposé une société à deux ou même à trois vitesses.
Augustin BERQUE, le père du grand orientaliste, disait naguère, que les Indigènes et les Européens, n'étaient pas associés mais «juxtaposés ».

La France de votre enfance, telle que vous l'a décrivez... Et l'article de l'historien Alain Ruscio : "Deux sociétés justaposées"

 

 

Alain Ruscio contre les OAStalgiques

Le chercheur rafraîchit les mémoires sur les ignominies de l’armée secrète

Il y a le sourire de Robert Ménard, maire de Béziers, quand il débaptise, au milieu du mois de mars 2015, la rue du 19 mars 1962, date des accords d’Evian mettant fin à la guerre d’Algérie, pour dévoiler la plaque de la rue Commandant-Denoix-de-Saint-Marc. Et puis il y a ses mots : «Notre paradis à nous, comme disait et dit toujours ma mère.»

Passons sur l’ancien commandant du 1er Régiment étranger de parachutistes, admirable pendant la Seconde Guerre mondiale, respectable en Indochine et misérable en Algérie quand il participe à la bataille d’Alger et au putsch des généraux en retraite, qui n’étaient pas 25, un quarteron, mais quatre : Salan, Jouhaud, Challe et Zeller.

Nostalgérie, l’interminable histoire de l’OAS devrait rafraîchir les mémoires. «Notre paradis… ma mère», toute la guerre tient en quatre mots pour les nostalgiques. Après, il y a les chiffres et l’histoire d’un mouvement qui passera alternativement de l’horreur absolue à la bêtise, du ridicule à l’ignominie. Alain Ruscio dresse un bilan de ceux qui rêvaient de se mettre dans les pas de Franco marchant sur Madrid, pour conquérir Paris. Les chiffres : 15355 attentats, faisant 1622 morts (239 Européens, 1383 musulmans), entre mars 1961 et avril 1962, au nom du paradis que représentait l’Algérie pour quelques militaires en rupture de ban et des «braves gens» pour reprendre une expression du Canard enchaîné pour désigner des hommes de main.

«Le 15 mars 1961, un commando armé envoyé par Roger Degueldre, dirigé par deux chefs des commandos Delta, Jo Rizza et Gabriel Anglade, et comprenant Félicien "Kiki" Gardiola, "Petit Vincent", "Pierrot la Grue", "Jeannot" Martinez, fit irruption et exécuta froidement six hommes désarmés, collés au mur : Marcel Basset, Robert Eymard, Mouloud Feraoun, Ali Hammoutène, Max Marchand et Salah Ould-Aoudia.» Voilà l’affaire dite du Château-Royal, au cours de laquelle ces «braves gens» règlent leur compte aux dirigeants des centres sociaux éducatifs fondés par Germaine Tillion. Des méthodes si proches de l’attentat contre Charlie Hebdo. Pourquoi ? Ils répondaient à la violence du FLN et des «barbouzes» gaullistes. Sans doute, mais le niveau de haine - réciproque - touche à l’indicible. Le 19 février 1962, Francine Dessaigne, partisane de l’Algérie française, rend compte d’une opération : «Hier à midi, un commando OAS a tiré sur une voiture qui sortait de l’hôpital Maillot. Il y avait quatre barbouzes. La voiture a pris feu […]. Un cercle s’est formé. On a regardé se consumer le véhicule et ses occupants dont certains n’étaient que blessés […]. Qui n’a jamais dans sa vie tué des rats ou brûlé des scorpions.»

L’imbécillité avait sa place aussi, comme le rappelle Alain Ruscio : «En février 1962, le siège des Editions sociales françaises, maison totalement apolitique spécialisée dans les publications de droit du travail, fut plastiqué à la place des Editions sociales, émanation du PCF… En mars, l’appartement d’un certain M. Léon, journaliste à la retraite, fut à son tour détruit, le commando l’ayant confondu avec Georges Léon, critique musical à l’Humanité…» A force de se tromper de cible et de méthodes, les plastiqueurs de l’OAS vont perdre tout soutien populaire, comme en témoignent les résultats aux référendums de janvier 1961 (74,9% des suffrages approuvent l’autodétermination) et d’avril 62 (90,8% en faveur de la ratification des accords d’Evian). Bilan de l’OAS, qui voulait rendre coup pour coup au FLN, mettant un terme à tout espoir de cohabitation entre les «indigènes» et les «Européens» : la guerre totale promise par des officiers qui avaient choisi de désobéir se transformait en une défaite totale.

En voulant aller contre l’histoire - le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, affirmé par le général de Gaulle -, les amis de Jean-Marie Le Pen, que l’on croise une douzaine de fois dans le livre d’Alain Ruscio, opposaient la force de quelques-uns à la volonté populaire. Ils auraient dû lire Alexis de Tocqueville qui écrivait en 1830 : «La société musulmane et la société chrétienne n’ont malheureusement aucun lien, elles forment deux corps juxtaposés, mais complètement séparés […]. Tous les jours cet état de choses tend à s’accroître par des causes contre lesquelles on ne peut rien.» Dire notre «notre paradis à nous», c’est encore naviguer entre le ridicule et l’ignoble pour faire plaisir à sa maman, sans rien avoir appris de l’histoire.

Philippe DOUROUX

 

  

Alain Ruscio écrit après avoir pris connaissance de cet article :

Merci de l’honneur que vous me faites en citant mes travaux.
Le combat mémoriel n’est jamais achevé ! Mais nous ne lâcherons rien.

Amicalement

Alain

 

 
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P
Et oui, Jacques! Les grands esprits se rencontrent mais....pour la bonne cause!<br /> Merci pour toutes ces publications, précieuses pour alimenter une argumentation solide face à des propos mensongers!!!
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C
Eh bien moi je pensais à citer mon article titré "Avec tout ce que nous avons fait pour eux" quand j'ai constaté qu'il avait été mis en ligne par Michel. Merci aussi !
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