"Algérie-France" au Mucem :
quand les objets racontent
l'histoire coloniale
Un musée dédié à l'histoire coloniale de la France en Algérie devait voir le jour à Montpellier mais le projet a été abandonné en 2014. Il en subsiste une riche collection d’œuvres et d'objets confiée au Mucem, à Marseille. Une partie de celle-ci est présentée au public jusqu'au 19 juin. L'exposition s'accompagne de tables rondes associant historiens, artistes, architectes et archéologues.
Le 5 juillet 1830, l'armée française s'empara de la ville d'Alger, mettant fin à trois siècles de domination turque sur l'Algérie. A cette occasion, le Dey d'Alger, gouverneur-sultan de la ville, remit sa selle, son sabre et les clés de la Casbah au Comte de Bourmont, le général en chef de l'expédition. Ces objets témoignant du début de la colonisation française en Algérie font partie de la collection exposée au Mucem.
Tableaux, cartes postales, affiches, tracts de propagande, poteries... 120 oeuvres et objets retracent cette histoire commune souvent douloureuse entre la France et l'Algérie.
A l'occasion de cette exposition, le Mucem a souhaité inaugurer un dispositif inédit mêlant étroitement installations, tables rondes et concerts.
Ces tables rondes sont organisées autour de plusieurs thématiques. Elles débutent toutes à 20h mais le public est convié au musée dès 19 h pour assister à un concert illustrant le thème de la soirée : musique arabo-andalouse, chaâbi algérois, chant kabyle, musique gnawa ou music-hall algérien.
Programme des tables-rondes
12 juin : La place de la guerre dans les mémoires
Avec Alexis Jenni (écrivain) et Fouad Soufi (historien)
19 juin : Dépasser 1962
Avec Boris Cyrulnik (psychiatre), Ahmed Djebbar (historien, ex-membre du Conseil d’administration du Musée d’Histoire de la France et de l’Algérie) et Benjamin Stora (historien, ex-membre du Conseil d’administration du Musée d’Histoire de la France et de l’Algérie).
Benjamin Stora et Boris Cyrulnik sont deux invités du cycle proposé par le Mucem : ils participent à la table-ronde "dépasser 1962", lundi 19 juin à 19h, en entrée libre. Photo DR et archives La Provence
Ex-conservatrice du Musée d'Histoire de la France et de l'Algérie qui devait voir le jour à Montpellier, Florence Hudowicz présente un cycle de tables rondes et d'installations qui interrogent cette Histoire. Les soirées sont imaginées dans une ambiance conviviale : elles s'ouvrent avec un concert, une restauration est proposée, autour de la découverte d'une collection, qui est commentée, dans un deuxième temps, par des experts : historiens, architectes, écrivains.
Le Mucem vient d'hériter d'un fonds d'objets et d'oeuvres d'un musée dédié à l'histoire coloniale de la France en Algérie qui n'a jamais vu le jour à Montpellier. Quels sont ces objets et ces oeuvres d'art ?
Florence Hudowicz : Ce musée ne traitait pas seulement de l'histoire coloniale mais plus largement des relations entre l'Algérie et la France, des premières rencontres à nos jours. Les premiers contacts remontent à François 1er. Nous voulions montrer combien ces relations sont longues et profondes.
Certains objets témoignent de l'Algérie ottomane. La grande majorité de la collection est constituée de tableaux et de dessins, mais aussi d'assiettes, de jouets, loto, figurines de guerre, qui permettent de représenter l'Histoire et de la diffuser au XIXe siècle.
Le fonds est doté d'une centaine d'objets qui viennent d'être transférés au Mucem.
Il s'agit donc de la production du colonisateur plutôt que de la production locale. N'est-ce pas gênant de se baser uniquement sur ce point de vue ?
La colonisation est caractérisée par la domination. Il s'agit donc surtout d'une production du Français plutôt que de l'Algérien, pour simplifier les choses. Mais pas seulement. Nous avons tout de même des objets d'autochtones, des bijoux berbères, poteries, buffets. Certains commerces se sont établis pour répondre au besoin de la nouvelle économie. La colonisation, c'est une domination, mais aussi une adaptation au contexte local.
Pourquoi ce musée n'a-t-il jamais vu le jour à Montpellier ?
Le projet était porté par Georges Frêche. Le nouveau maire l'a arrêté, en mettant en avant qu'il s'agissait d'un projet national, qu'une municipalité ne pouvait pas porter seule.
Les projets de musées sont souvent difficiles. Cette histoire Algérie-France est peu montrée, elle n'est pas encore "stabilisée", les mémoires ne sont pas pacifiées, celles des pieds-noirs, des Algériens, des anciens combattants, des harkis... autant de groupes que la guerre a clivés.
Le projet de musée était justement de dire l'Histoire, de telle sorte que les mémoires, même douloureuses, puissent s'y raccorder.
Lorsque le candidat Emmanuel Macron a déclaré que la colonisation était "un crime contre l'Humanité", cela a provoqué un tollé à droite et à l'extrême droite. Pourquoi la question est-elle encore taboue ?
On le voit, cette Histoire n'est pas pacifiée, dès qu'on l'aborde des groupes de mémoire font obstruction, en disant : "Ça n'est pas comme ça que ça s'est passé !" Parce qu'on ne parle pas de cette Histoire. Ou de façon politique, ce qui suscite donc des réactions politiques. En tant que conservatrice de musée, je souhaiterais aborder cette histoire avec des scientifiques. Les gens, y compris ceux qui sont concernés de près, immigrés, enfants d'immigrés, Français d'Algérie, savent très peu de chose de cette Histoire, occultée de part et d'autre de la Méditerranée.
L'une des tables rondes, avec Benjamin Stora et Boris Cyrulnik, aborde d'ailleurs le thème : comment dépasser 1962 ?
Nous voulions faire se rencontrer autour de la même table un historien, Benjamin Stora, lui-même issu de cette histoire, et un psychiatre, Boris Cyrulnik sur le sujet. Pour les uns, 1962, c'est l'Indépendance, pour les autres, la fin d'un paradis perdu.
On s'est occupé du relogement des pieds-noirs, mais pas de leur souffrance psychologique ; cette souffrance s'est transmise de génération en génération. Et certains vivent encore en 1962 quelque part ! Boris Cyrulnik parlera de ce traumatisme qui n'a pas été pris en charge. Peut-on guérir la mémoire collective ? L'Histoire, le fait de raconter, peut-elle délivrer ? La parole est-elle libératrice ? Ils interviendront autour d'objets, tels que des bijoux kabyles, un T-shirt de l'équipe algérienne, un sac Tati aux couleurs de l'Algérie, une bouteille de limonade typiquement algérienne.
Lors d'une autre table-ronde, Alexis Jenni, prix Goncourt pour L'Art français de la guerre, et Fouad Soufi, historien et conservateur des archives d'Oran, aborderont "la place de la guerre dans les mémoires".
Une soirée aborde également l'architecture coloniale à Alger, qui pour le coup, ne fait pas débat : elle fait partie de l'identité algéroise...
Cette architecture est en effet intégrée dans le paysage urbain et ne pose plus problème aujourd'hui, même si ça n'a pas toujours été le cas, loin de là ! Deux architectes, Nadir Tazdait et Pascale Langrand, parleront de cette architecture, en compagnie du photographe Bruno Boudjelal. Ils évoqueront notamment la Grande Poste d'Alger, dont la maquette est exposée
Propos recueillis par Marie-Ève Barbier