Camille Senon, la survivante du tramway
d’Oradour-sur-Glane en 1944
continue, à 93 ans, son combat de militante en 2016
en refusant l'Ordre national du mérite
Accepter cette distinction aujourd'hui serait, explique-t-elle, "renier toute ma vie militante pour plus de justice et de solidarité, de liberté, de fraternité et de paix".
Camille Senon, ici le 25 janvier 2014. Archives AFP
La rencontre avec Camille s’est effectuée à la foire du livre 2014 à Limoges. Elle nous relate son parcours avec émotion. Nous n’oublierons jamais Oradour, Camille Senon nous le rappellera toujours grâce à ses nombreux et poignants témoignages.
Lors du massacre, Camille venait d’avoir dix-neuf ans. Elle avait pour habitude de prendre le tramway de Limoges en rentrant de son travail jusqu’à Oradour pour rentrer chez ses parents. Ce funeste 10 juin 1944, alors qu’elle attendait son tramway à la gare, un des employés informa les passagers qu’ils ne partiraient peut-être pas en direction d’Oradour car les allemands auraient envahit le village.
Dans l’impossibilité de joindre Oradour par les centrales téléphoniques, le tramway prit donc sa route. « A mi-chemin, on voyait un gros nuage de fumée au dessus d’Oradour », nous explique-t-elle. Lors d’un arrêt à proximité de sa destination, un jeune homme connaissant Camille cria : «N’y allez pas, ils tuent tout le monde!» Camille se demanda si les conducteurs avaient entendu les paroles du jeune homme car le tram poursuivit son chemin. « Après cent mètres, on voyait l’église en feu » nous dit-elle, complètement bouleversée. Quand soudain un SS fit stopper le train et descendre les vingt voyageurs dans un champ. De là où ils étaient ils voyaient des grenades, les maisons s’enflammaient, tout explosait.
Pendant que les passagers attendaient sans aucune explication, un homme dit à Camille « les femmes et les enfants brûlent dans l’église». Sur un ton de mépris et d’agressivité, un allemand réplique « Vous avez peur hein, vous avez peur ; de toute façon il n’y a plus personne à Oradour ». Camille réussit à se sauver en montrant à un officier qu’elle n’était pas d’Oradour en dévoilant sa carte de Limoges. Par chance, l’officier agacé l’envoya dans un village voisin. Lorsqu’elle fut arrivée dans ce village, les habitants affolés demandèrent à Camille ce qu’étaient devenus leurs proches qui étaient à Oradour. Elle ne répondit pas car elle ne voulait pas accepter ce qu’elle avait vu et entendu durant cette journée.
Un homme apeuré ayant son fils à Oradour proposa à Camille de se rendre au village pour avoir des réponses à leurs interrogations. Ils prirent la voiture et en arrivant Camille comprit qu’elle ne reverrait jamais son père, ni ses grands-parents, ni ses oncles et tantes, ni cousins et amis, tous étaient massacrés. Le village était plongé dans l’horreur, elle avait l’impression d’avancer dans un cauchemar, tout autour d’elle était anéanti. Femmes et enfants étaient fusillés et brûler dans l’église, et les hommes étaient massacrés dans les champs.
Depuis ce jour il ne restait presque plus rien à Camille, sauf sa mère qui n’était pas présente lors de ce massacre car elle devait se rendre à l’extérieur. Cette femme a vécu centenaire, « Belle revanche pour ceux qui voulaient l’exterminer » dit sa fille. Jamais Camille n’oubliera son village, toujours prête à militer auprès d’écoles et d’associations. Elle trouvera aussi la force de témoigner lors du procès des auteurs du massacre à Bordeaux en 1953, défendant différentes causes comme la lutte contre les discriminations, le racisme. A l’occasion de cette foire du livre, nous avons pu découvrir le livre de Charles Sancet qui souligne l’engagement des femmes des PTT durant la Seconde Guerre Mondiale.
Loi travail : une rescapée d'Oradour refuse l'Ordre national du mérite
"Dans le contexte actuel il m'est impossible d'accepter de votre part cette distinction (...) alors que je suis totalement solidaire des luttes menées depuis deux mois par les salariés, les jeunes, une majorité de députés et de Français contre la Loi travail que vous venez d'imposer par le 49-3", a-t-elle écrit dans une lettre adressée au Premier ministre fin mai.
Accepter cette distinction aujourd'hui serait, explique-t-elle, "renier toute ma vie militante pour plus de justice et de solidarité, de liberté, de fraternité et de paix".
Jointe par l'AFP dimanche, l'intéressée a évoqué "un hasard du calendrier qui tombe particulièrement mal".
"Quand j'ai reçu cette proposition le 17 mai, il m'a paru évident que dans ce contexte où des gens luttent pour faire respecter leurs droits et où mes camarades syndicalistes d'Air France sont traduits devant les tribunaux il était tout simplement inacceptable pour moi de recevoir cette distinction sur proposition de Monsieur Manuel Valls", a-t-elle ajouté.
Déjà récipiendaire de la Légion d'honneur, cette rescapée du tramway d'Oradour-sur-Glane, qui a perdu sa famille dans la massacre des habitants par le détachement de la Waffen-SS Das Reich le 10 juin 1944, est une infatigable militante syndicaliste et féministe.
Ancienne secrétaire générale du syndicat des chèques postaux, elle a compté parmi les membres dirigeants de la CGT des PTT. En 2014, cette voix qui porte dans le paysage mémoriel avait porté son nom sur la liste d'opposition du Front de gauche lors des élections municipales à Limoges.
Plus récemment, en octobre 2015, elle avait, malgré son âge avancé, assisté à la célébration des 120 ans de la création de la CGT, à Limoges, aux côtés du leader syndical Philippe Martinez.