L’histoire de Guy Aguiraud est digne d’un scénario de film. - THIERS Photo
C’est en 1958, lors de la guerre d’Algérie, que la vie de Guy Aguiraud a changé. À cette époque, il n’imaginait pas l’histoire qu’il allait vivre et qui marquerait sa vie à jamais.
Itinéraire d'une destinée extraordinaire
Guy Aguiraud fait partie de ce genre de personne qui peut parler pendant des heures, sans jamais sembler ennuyeux. Sa vie est aussi passionnante qu'un best-seller ou un chef-d'oeuvre du septième art. Et cette vie-là, elle a «commencé» en 1958, date à laquelle il a été envoyé en Algérie dans le cadre de son service militaire. Si la guerre, sa dureté et son ignominie ont marqué sa mémoire au fer rouge, il est sorti indéniablement plus grand et plus fort de ce «voyage organisé», comme il aime le qualifier.
Guy Aguiraud est un homme bavard, mais lorsque le sujet de la guerre s'invite dans la conversation, il devient pensif, tourmenté. Ces clichés témoignent pour lui. « Quand vous voyez des dizaines d'enfants, les mains sur la tête, traités comme des hors-la-loi, comment voulez-vous réagir ? », se questionne-t-il.
« Je n'avais aucune raison de faire
la guerre »
Après Grenoble, Tunis, Chalon ou encore Grenoble, c'est à Aguemoun qu'a été envoyé le jeune homme âgé alors de 24 ans. Situé sur les contreforts du Djurdjura, à une dizaine de kilomètres au sud de Tizi Ouzou, ce village de Grande Kabylie est le témoin de cette histoire. « J'ai vécu d'une façon très différente mon service militaire en étant dans ce village. J'étais en contact avec des habitants, des humains et non pas des "bougnouls". Je n'avais aucune raison de faire la guerre », raconte plein d'émotion l'homme aujourd'hui âgé de 81 ans.
Muni de son appareil photo, le jeune militaire saisissait chaque instant, capturait la vie derrière son objectif. Il établissait un lien avec les habitants de ce village et les rendait immortels. Mais il ne se doutait pas que le lien créé allait être si puissant, au point que 50 ans après, il soit toujours là, renforcé par les années.
Parmi toutes les personnes qu'il a pu photographier au cours de son périple, deux ont particulièrement retenu son attention. « Ouardia et Fazia jouaient à côté de nos barbelés, de nos armes, de la mitrailleuse menaçante. Un jour, l'un des militaires avait brutalisé Ouardia, je ne l'ai pas supporté, on en est venu aux mains. Ce n'était qu'une enfant, pour moi, elle était comme ma propre fille », confie le photographe.
En 1959, après avoir passé six mois dans ce village où les maisons étaient faites de terre, Guy Aguiraud a repris le chemin de la France. « J'ai pris parti contre la guerre. Je suis devenu photojournaliste pour les journaux dits de "l'anti-France" comme l'Express, France-Observateur, Témoignage-Chrétien… », explique le vieil homme.
Pendant 40 ans, il a enfoui au fond de lui ce passage de sa vie, sans pour autant l'oublier. C'est en 1999 exactement que son passé l'a rattrapé. À cause, ou plutôt grâce à une étudiante en histoire, Guy Aguiraud se voit dans l'obligation de se replonger dans ses pellicules et il recroise, au détour d'un cliché, le regarde taquin et plein d'espoir des deux enfants d'Aguemoun. « Je me demandais ce qu'elles étaient devenues, ce que le village était devenu, alors l'idée un peu folle de repartir en Algérie m'est venue », raconte Guy Aguiraud.
Dix ans plus tard, après de longues recherches et obligations administratives, l'ancien militaire atterrit à Alger, à la recherche de réponses.
C'est grâce à Youcef et Siham que ce voyage a été possible. Ces deux personnes ont permis à Guy d'obtenir un certificat d'hébergement, indispensable pour son voyage.
Durant une semaine, les deux Kabyles l'ont conduit au travers du pays, à la recherche de ce petit village d'autrefois. « Le jour où je suis arrivé à Aguemoun, je n'ai rien reconnu, tout avait complètement changé », raconte Guy. Son récit est entrecoupé de silences, il pèse chaque mot, le regard ailleurs, il revit seconde par seconde son voyage, ses retrouvailles. Les yeux humides, il raconte sa rencontre avec les habitants, tous extrêmement chaleureux, qui reconnaissent les modèles sur ses photos. Il met alors des noms sur les visages qu'il avait photographiés 50 ans plus tôt. Et puis ce qu'il attendait tant arriva enfin. La rencontre avec Ouardia et Fazia.
« C'est tellement extraordinaire de vivre ça, ils sont presque devenus des membres de ma famille, se réjouit le vieil homme. Voir Ouardia, aujourd'hui mère de neuf enfants, regarder avec sa petite-fille sur les genoux la photo que j'ai prise cinquante ans avant, on ne peut pas mettre de mot dessus », s'émeut le photographe.
Siham, l'hôte de Guy en 2009, lui a dit un jour : « Ton histoire, c'est une histoire comme on n'en voit que dans les films. »
Depuis ces retrouvailles, Guy Aguiraud est retourné en Algérie avec sa femme Catherine en octobre 2011. Le téléphone et Internet ont permi d'entretenir la relation avec les deux enfants aujourd'hui devenues des femmes. Guy et sa femme ont même eu la chance immense de revoir Ouardia en décembre 2013, chez eux, à Noirétable. Elle a fait, avec sa fille, le voyage tout spécialement de Nancy. Faire un peu plus de 1.000 kilomètres en une journée n'était pas un sacrifice pour celui que la jeune femme appelle son « grand-père ».
Sarah Douvi
Ouardia, le 17 avril 2009, et sa petite-fille Catrina sur les genoux. Elles découvrent la photo prise par Guy Aguiraud un demi-siècle plus tôt de la grand-mère, alors âgée de 5 ans. © Photo : agence de Thiers