« Hommage à Mouloud Feraoun
et aux victimes de l’OAS » : Communication
de l’ANPROMEVO
Madame, Monsieur,
L'article reproduit ci-après in fine, paru le mardi 15 mars après-midi sur le site Internet du journal "Le Monde", appelle de la part de l'Association nationale pour la protection de la mémoire des victimes de l’OAS (ANPROMEVO) la communication dont la teneur suit.
Jean-François Gavoury
Président de l'ANPROMEVO
- - - - - - - - - -
« Dans une perspective de réconciliation mémorielle inspirée par la recherche de la concorde, de l’apaisement et du respect de toutes les consciences, le Président de la République a passé commande à l'historien Benjamin Stora d'un rapport circonstancié sur la colonisation et la guerre d'Algérie.
« Au-delà même des préconisations que ce document comporte, il apparaît que le temps est venu de rendre un hommage officiel à toutes ces victimes que l'OAS a frappées jusqu'au plus haut sommet de l'État : parce que ce sont des faits historiques et que l'Histoire doit être connue et transmise sans fard ; parce que c'est le seul moyen de permettre la cicatrisation des plaies qui sont encore ouvertes des deux côtés de la Méditerranée !
« L'Association nationale pour la protection de la mémoire des victimes de l’OAS (ANPROMEVO) prend acte avec satisfaction du geste accompli au nom du chef de l’État par l’ambassadeur de France en Algérie qui, accompagné notamment par le ministre des Moudjahidine, a rendu hommage aux six dirigeants des Centres sociaux éducatifs assassinés par l’OAS sur le lieu même et le jour du soixantième anniversaire de leur assassinat collectif le 15 mars 1962 à El Biar.
« Il s’est agi là, objectivement, d’une nouvelle et significative contribution au réchauffement des relations entre la France et l’Algérie, et l’on peut comprendre, par ailleurs, que l’association statutairement vouée à perpétuer le souvenir de ces six malheureux se soit félicitée de cette initiative.
« Pour sa part, l’ANPROMEVO y a vu un "pas mémoriel" venu s’ajouter à celui effectué le 8 février dans le cadre du soixantième anniversaire de la tragique manifestation parisienne dite de "Charonne".
« Mais c’est un geste plus fort encore que l’association attend du Président de la République le samedi 19 mars et sur lequel elle fonde un ultime espoir : s’impose, en effet, à l’égard des victimes militaires et civiles survivantes et des descendants de victimes tombées sous les coups de l’OAS, un acte premier de reconnaissance officielle équivalent à ceux dont les harkis et les rapatriés d’Algérie ont pu bénéficier depuis des décennies. »
À Alger, la France va rendre hommage
à Mouloud Feraoun et aux victimes
de l’OAS
Emmanuel Macron a demandé à son ambassadeur en Algérie de déposer, mardi 15 mars, une gerbe de fleurs à la mémoire de l’écrivain et instituteur assassiné, il y a soixante ans, par l’Organisation de l’armée secrète.
Par Mustapha Kessous
Un nouveau geste en faveur de la réconciliation des mémoires. Mardi 15 mars, à 15 heures, l’ambassadeur de France en Algérie, François Gouyette, doit déposer, au nom du président de la République, une gerbe de fleurs en hommage à Mouloud Feraoun et ses cinq compagnons. Il y a soixante ans, jour pour jour, cet écrivain algérien reconnu et instituteur humaniste était froidement assassiné par l’Organisation de l’armée secrète (OAS), dans les hauteurs de la capitale. Pour cette commémoration devant la stèle érigée sur les lieux du drame, M. Gouyette devrait être accompagné de Laïd Rebigua, ministre des moudjahidine et des ayants droit, et d’Abdelmadjid Chikhi, conseiller pour les archives et la mémoire nationale du président algérien, Abdelmadjid Tebboune.
Le 15 mars 1962, à 10 heures, à El Biar, plusieurs dirigeants de centres socio-éducatifs (CSE) s’étaient retrouvés dans un local de Château-Royal, sur la route de Ben Aknoun. En pleine réunion, un commando de l’OAS fit irruption, désigna six inspecteurs de l’éducation nationale – Salah Ould Aoudia, Ali Hammoutene, Mouloud Feraoun, Robert Eymard, Marcel Basset et Max Marchand –, puis les emmena à l’extérieur pour les exécuter à la mitraillette.
A trois jours de la signature des accords d’Evian, qui allait mettre fin à sept ans de guerre entre la puissance coloniale et le Front de libération nationale (FLN), ces crimes avaient suscité un émoi considérable au sein des sociétés française et algérienne. Dans un texte émouvant, la résistante Germaine Tillion – qui avait lancé ces structures, en 1955, pour venir en aide aux plus démunis, en assurant, entre autres, des cours d’alphabétisation – avait souligné que ces victimes « musulmanes » ou « catholiques » avaient « une passion commune : le sauvetage de l’enfance algérienne ». Pour elle, « la bêtise, la féroce bêtise » avait « assassiné » Mouloud Feraoun « froidement, délibérément ».
Une tragédie hautement symbolique
C’est Benjamin Stora qui a proposé à Emmanuel Macron de célébrer le souvenir de l’écrivain kabyle. « Il a tout de suite dit oui, explique l’historien. Mouloud Feraoun était anticolonialiste mais il aimait la France. En le tuant, on a commis un meurtre contre la culture et tenté de détruire la possibilité de passerelle entre la France et l’Algérie. » C’était aussi une demande pressante et de longue date des associations des victimes de l’OAS, comme Les amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs compagnons. « Le sacrifice de mon père et de ses compagnons morts pour la défense des valeurs de la République et pour l’indépendance de l’Algérie dans une relation fraternelle avec la France n’aura pas été vain », salue Jean-Philippe Ould Aoudia, fils d’une des victimes.
En effet, la tragédie de Château-Royal est hautement symbolique : des Français et des Algériens qui travaillaient ensemble, qui partageaient une amitié et le même idéal, sont morts ensemble. Les centres socio-éducatifs « étaient perçus par l’OAS comme des foyers indépendantistes, et symbolisaient le rapprochement entre les communautés », a souligné l’Elysée dans un communiqué.
Mouloud Feraoun, ami d’Albert Camus et d’Emmanuel Roblès, conteur francophone de la vie berbère, auteur du Fils du pauvre (1950), La Terre et le sang (1953), Jours de Kabylie (1954), a voulu décrire l’autre, le Français, sans le voir nécessairement comme un ennemi. Sans concession sur la guerre d’Algérie, et ses propres sentiments, il a tenu un journal dans lequel il raconte un sanglant conflit au jour le jour, publié à titre posthume aux éditions du Seuil (Journal 1955-1962).
Sur la relation entre la France et l’Algérie, Mouloud Feraoun écrit, lucide :
« La vérité c’est qu’il n’y a pas eu mariage… Les Français sont restés étrangers. Ils croyaient que l’Algérie c’était eux. Maintenant que nous nous estimons assez forts ou que nous les croyons un peu faibles, nous leur disons : non, messieurs, l’Algérie c’est nous… Le mal vient de là. Inutile de chercher ailleurs. Un siècle durant, on s’est coudoyé sans curiosité, il ne reste plus qu’à récolter cette indifférence réfléchie qui est le contraire de l’amour. »
Pour autant, M. Feraoun a su cohabiter entre ses identités multiples, lui le Français d’Algérie, le Kabyle musulman, épris par le patriotisme de son pays, attiré par certaines valeurs de l’occupant. « Au lieu de barrer tout ce qui précède, je me dis : vive la France telle que je l’ai toujours aimée ! Vive l’Algérie telle que je l’espère ! Honte aux criminels ! Honte aux tricheurs ! » Car pour lui seul compte « un impératif désiré par tous, un idéal à atteindre, être libre. Se sentir libéré, l’égal de tous les hommes ».
Après avoir reconnu la responsabilité de l’Etat dans la mort de Maurice Audin, un mathématicien militant de l’indépendance de l’Algérie disparu en 1957 ; dans celle d’Ali Boumendjel, avocat nationaliste algérien « torturé puis assassiné » par les militaires, en pleine bataille d’Alger, en 1957 ; demandé pardon aux harkis ; s’être incliné devant la mémoire des victimes des crimes « inexcusables » du 17 octobre 1961 et rendu hommage aux neuf personnes mortes au métro Charonne, le 8 février 1962, le président Emmanuel Macron poursuit une politique d’apaisement entre deux rives de la Méditerranée en honorant la mémoire de victimes de l’OAS. À quelques jours des 60 ans des accords d’Evian.
Mustapha Kessous