Pierre Daum présente, en Algérie, son dernier ouvrage
sur les harkis
La société algérienne a certainement et suffisamment évolué pour débattre de sujets aussi sensibles que celui des harkis.
De toutes les façons, ceux parmi eux qui ont continué à vivre en Algérie après l’indépendance est un secret de polichinelle. Beaucoup sont restés dans leurs régions. Ils y vivent paisiblement, mais leur condition les poursuit toujours. Le terme harki, jamais très loin d’être brandi, résonne toujours comme une insulte sinon comme une menace. Alors, une enquête sur les harkis, livrée par le journaliste et écrivain Pierre Daum, sous le titre "Le dernier tabou, les "harkis" restés en Algérie après l'indépendance", paru d’abord aux éditions Actes Sud, en France en 2015, ne relève plus vraiment du tabou.
L’ouvrage vient d’être réédité par Koukou Editions et se trouve depuis quelques jours sur les étals des librairies. Pierre Daum un reporter du « Monde diplomatique », est déjà connu du public algérien pour son livre sur les pieds noirs («Ni valise, ni cercueil», 2012). Il y tordait le cou à moult préjugés. Il achève ce travail de salubrité public en démentant les idées reçues, tant en Algérie qu’en France, à propos du sort harkis.
Invité du «café littéraire», il a donné samedi passé à Bejaia, à l’occasion de la sortie de son ouvrage, une conférence dans la petite salle du TRB qui a eu du mal à contenir tout le public.
L’enquête basée sur des témoignages de harkis, vivant toujours en Algérie a duré trois années et a tenté de répondre à un certain nombre de questions: Combien sont-ils restés, combien de partis, de tués à l’indépendance? Quelles étaient leurs motivations ? Qu’ont-ils faits exactement pendant la guerre ? Elle révèle ainsi que les harkis, contrairement à l’opinion générale, ne sont pas tous partis en France et que ceux restés en Algérie n’ont pas tous été massacrés.
Pierre Daum montre également que les harkis étaient bien plus nombreux (entre 250 et 400.000 hommes) que ne le pensent les Algériens. Ce chiffre englobe toutefois aussi bien les harkis proprement dit, c'est-à-dire les supplétifs algériens de l’armée française qui sont des civils armés sans aucun statut militaire, que les algériens engagés (50.000) ou appelés du service militaire (170.000), ainsi que les civils pro-français (caïds et autres fonctionnaires à la solde, soit 30.000 hommes).
Justification ou explication ?
Pierre Daum a retrouvé une soixantaine de ces harkis, qui ont accepté de livrer leurs témoignages sur les motivations qui les ont poussés vers l’armée française et sur le sort après l’indépendance.
En dépit du fait qu’il nie avoir eu l’intention de justifier les harkis ou de les absoudre de leurs actes, celui-ci les présente toutefois comme victimes du système colonial: ce sont leurs conditions sociales misérables qui ont conduit ces paysans à s’enrôler.
L’indépendance ne leur a pas plus réussi puisque, selon l’auteur, ils vivent dans une sorte de relégation sociale qui s’applique également à leurs enfants. Pierre Daum réfute par ailleurs l’assimilation des harkis aux collabos français, expliquant que ces derniers, fascistes bien avant l’occupation allemande, étaient motivés par des considérations idéologiques, ce qui n’était pas le cas de la majorité des harkis.
Le contexte était différent et, dans ce cas, «la comparaison brouille plus qu’elle n’éclaire», soutient-il en citant en renfort de cette thèse l’historien Mohamed Harbi.
Le débat, bien évidemment, n’a pas manqué de piment, les uns louant le courage de l’auteur d’avoir brisé un tabou, les autres remettant en question les chiffres et la méthode d’enquête, et surtout les épanchements sur le sort des harkis restés en Algérie.
Pierre Daum a bien tenté de relativiser les motivations que lui prêtait une partie du public. Il a expliqué que son rôle consistait à fournir des informations pour comprendre et que son but était de «mettre de la complexité dans une vision trop manichéenne de l’histoire».
Loin de s’offusquer de ces critiques, Pierre Daum, au large sourire qui fendait sa poire, semblait plutôt très satisfait de la pagaille qui s’emparait par à coups de la salle. Il aurait été certainement déçu que l’assistance, qui l’avait écouté dans un silence religieux, soit restée placide durant les débats.
Ouali M.
Je suis passé hier soir au JT de Khaled Drareni
sur Echorouk TV.