Courriel envoyé à Gérard Tronel, président de l’Association Maurice Audin :
Vendredi 19 septembre 2014
Bonsoir,
Je gère un blog d'anciens combattants de la guerre d'Algérie (FNACA), et j'ai eu l'occasion de mettre en ligne plusieurs articles concernant Maurice Audin. Ce soir j'ai reçu un courriel dont vous pourrez prendre connaissance ci-dessous. Je ne connais pas la personne qui me l'a fait parvenir... donc je ne sais pas ce que vaut ce témoignage. Merci de me faire savoir ce que vous en pensez.
Très cordialement.
Michel Dandelot
La réponse de Gérard Tronel :
Cher camarade,
Merci de votre message, mais je l'avais déjà reçu hier au soir alors que j'étais à Lens qui a organisé une exposition sur la guerre avec une salle consacrée à l'Algérie, il y avait les deux tableaux de Jean-Jacques Lebeĺ celui qu'il a peint pour montrer que Maurice Audin a bien été assassiné, et le tableau dit d'Orvitto qui est une œuvre collective impressionnante.
Il faudrait conseiller à tous nos amis qui le peuvent de visiter cette exposition du musée du Louvre-Lens.
Bien cordialement.
Gérard
PS: Il faudrait aussi diffuser largement le message algérien pour faire revenir des souvenirs à la surface, notamment que faisait-on des suppliciés torturés à mort? Où sont-ils? Y a-t-il eu beaucoup d'opérations " crevettes de Bigeard"?
Gérard
Le témoignage algérien :
Maurice Audin est-il enterré à Ben Salah ?
par Rahmani Mohammed
traduit en langue arabe par Chedkhmann Mahfoud
E-mail : mahfoudelyawm@gmail.com
http://www.lequotidien-oran.com/?news=5202019
L’affaire Maurice Audin alimente la chronique historico-politique depuis cinquante-sept ans. Le 11 juin 1957, Maurice Audin, professeur de mathématiques à la faculté d’Alger et militant communiste de l’indépendance algérienne, soupçonné d’héberger des membres actifs du PCA (parti communiste algérien) est arrêté, chez lui, sur dénonciation par les parachutistes. (Ce jeune père de trois enfants est né le 14 février 1932 à Béja (Tunisie) et mort à Alger en 1957).
Dans la nuit-même, il est emmené dans une villa à El Biar, sur les hauteurs d’Alger pour y être interrogé. Il ne donnera plus signe de vie.
Un rapport émanant de la 10ème région militaire, 10ème division parachutiste, 1 RCP (référence : N. de S. n° 636/col) du colonel commandant le secteur Alger-Sahel en date du 24/6/57 fait part de « l’évasion » de Maurice Audin, « détenu au centre de triage d’El Biar, (qui) devait subir un interrogatoire par la P.J., le 22 juin 1957, au matin. » C’est le début d’une terrible galère pour Josette, sa femme, qui remuera ciel et terre, en vain, pour retrouver la trace de son époux.
En France, l’affaire fait grand bruit et devient, après 1962, la preuve de la pratique de la torture en Algérie. Plusieurs personnalités soutiennent la thèse selon laquelle Maurice Audin aurait été tué par ses tortionnaires.
Maurice Audin est devenu le symbole de la répression et de la torture en Algérie grâce au livre « La question », d’Henri Alleg (militant communiste, ancien directeur d’Alger Républicain) et «L’affaire Audin», de Vidal Naquet (historien, militant communiste pour l’indépendance de l’Algérie).
La grande muette (l’armée) maintiendra pendant plus de cinquante ans la version de l’évasion. Dans « La Vérité sur la mort de Maurice Audin », édition Equateurs, 2014, l’auteur, Jean-Charles Deniau, réalisateur de documents historiques et journaliste d’investigation, retrace les derniers moments du jeune mathématicien. Se basant sur le témoignage du général Paul Aussaresses avant sa mort, il explique que c’est le général Massu qui a donné à ses hommes l’ordre d’exécuter Maurice Audin. Il a été décidé d’en faire un exemple. « L’ordre est alors donné par Massu à Aussaresses dont les sbires vont emmener Audin de nuit dans les faubourgs d’Alger pour l’exécuter à l’arme blanche et l’enterrer dans une fosse dans un endroit que l’on ne connaît pas avec exactitude. »
Selon les dires d’Aussaresses, le corps de Maurice Audin se trouve dans une zone qui se situerait entre Zeralda et Koléa.
Voilà des renseignements que l’on peut aisément avoir en consultant les journaux de l’époque ou en cliquant sur internet. Mais la vérité, la vraie, que recherche Mme Josette Audin se trouve ailleurs, loin des documents « officiels » et des aveux faussement amnésiques de criminels, au soir de leur vie.
Abraz Mustapha, dit Moh Djebbour, aujourd’hui septuagénaire, retraité de la Sonacome et résidant à Ain Taya, nous raconte, par l’intermédiaire de son neveu Oumaza Brahim, une histoire troublante de similitudes.
«Mon oncle maternel Mustapha était, à l’époque, un jeune adolescent. Il gardait une vache dans le cimetière de Ben Salah (à trois kilomètres d’Oued Alleug, dans les environs de Koléa).» L’histoire commence comme un conte. A Oued Alleug, le lieutenant Argentin Lagaillarde est tristement célèbre : les prisonniers questionnés par ses soins finissent tous dans le cimetière de Ben Salah. On creuse à peine le sol, on y met le corps et on le recouvre sommairement de terre.
Abraz Mustapha, habitant à El Matmar, un quartier de résistants, entouré de fil de fer, connaissait tout le monde. Après le départ des militaires, il déterre, sans peine, le corps pour l’identifier, et renseigne les parents du mort pour qu’ils puissent l’inhumer dignement. C’est sa façon à lui, jeune adolescent, d’aider la révolution.
Un soir de l’été 1957, c’était la fin du mois de juin, Mustapha voit une jeep 4X4 avec six parachutistes à bord s’arrêter non loin de sa vache et lui, jeter un corps dans une fosse qui existait déjà et le recouvrir de terre. Après leur départ, il s’approche de la « tombe » et découvre le visage du mort. «C’était un Européen habillé d’une veste légère, témoigne-t-il. C’est comme du daim », ajoute-t-il, impressionné par la qualité du tissu : « quand il a été arrêté, il avait une veste claire et légère ; on était au mois de juin.»
Oumaza Brahim, le neveu, qui représente un peu la mémoire collective de la région, a délimité l’endroit désigné par son oncle maternel avec deux pierres blanches (voir photo ci-dessous).
Un endroit du cimetière de Buried à côté de Blida (Algérie)
Cet espace semble vide. Les alentours sont pleins de tombes. «On a dû ouvrir et trouver des ossements, ce qui explique que personne n’a creusé de tombe à cet endroit ! » argumente Brahim. Ce dernier a contacté Josette Audin et Gérard Tronel, président de l’association Maurice Audin.
A la question pourquoi avoir attendu cinquante-sept ans pour en parler, Mustapha Abraz explique, selon son neveu, que c’est en regardant une vidéo sur les aveux d’Aussaresses, en entendant ce dernier situer l’endroit dans la région de Koléa et en remarquant que les dates coïncidaient que le souvenir lui était revenu en mémoire.
« Je n’ai jamais oublié cette scène, parce que, pour moi, adolescent, les Français ne se tuaient pas entre eux ! »
Josette Audin qui a cherché, pendant plus d’un demi-siècle, la tombe de son mari, a, aujourd’hui, avec ce témoignage, un élément sérieux, un bout d’indice, pour pouvoir aboutir. L’association Maurice Audin qui semble, d’après ses e-mails, s’intéresser plus à la possibilité d’existence d’autres Français torturés et enterrés par les militaires, peut, maintenant, faire avancer les choses.
Du côté algérien et du côté français, il y a tout un travail de fouilles et de tests ADN à faire pour qu’enfin, Maurice Audin puisse reposer dans une tombe décente.
L'article en langue arabe