• TABLEAU DE CHASSE par l'écrivain Henri Lhéritier

    TABLEAU DE CHASSE

    par l'écrivain Henri Lhéritier

     

    TABLEAU DE CHASSE par l'écrivain Henri Lhéritier

    C’était un vieux général qui avait mitraillé des tas de braves gens tout au long de sa carrière.
    Pour en protéger d’autres, mon petit, me disait-il.
    Je gobais ce message, m’émerveillant de la fraternité des militaires et de leur sacrifice à notre service.
    Le vieux général érigeait ses mots en principe universel : « tuer pour que d’autres ne meurent pas », dans sa bouche, cela devenait un humanisme.
    Une monumentale escroquerie, oui ! Je le sais aujourd’hui : une canonnade déguisée en pensée ! On peut chiffrer avec exactitude le nombre de ceux que l’on tue, il s’agit d’une réalité. Mais connaît-on le nombre de ceux que l’on sauve ? Jamais ! Ils ne sont qu’une pure hypothèse, parfois même un mensonge.
    Cette histoire de sauvegarde d’innocents sert d’alibi à ceux pour qui tuer est un métier et un honneur. Hommes politiques et militaires, en toute immoralité, se découpent des tranches plus ou moins épaisses de vies prétendument sauvées, selon le poids des médailles qu’ils veulent s’attribuer ou des galons auxquels ils postulent.
    Regardez ceci, me disait parfois le vieux général, en me montrant du doigt, un sous-verre accroché au mur de son bureau, entre des casques, des képis, des épées et des fusils, un tableau d’honneur, une sorte de certificat de bonne conduite, revêtu de la signature d’un ministre, et moi, comme un imbécile, ravi de considérer que ces morts étaient utiles pour sauver des vivants, je m’extasiais devant ces chiffres :
    Allemands : 192 morts, (le général n’était alors que sous-lieutenant).
    Indochinois : 3518 morts, (il était passé colonel).
    Algériens rebelles : 6212 morts, (il était général).
    C’était eux ou nous, m’expliquait-il, j’ai fait mon devoir !
    J’aurais dû me méfier et m’étonner que le monde nous veuille tant de mal pour justifier tant de morts, nous qui ne demandons rien à personne.
    À ce prix-là, est-il bien utile de prétendre nous sauver ?
    Contre la vieillesse et la maladie, le général ne put massacrer personne à sa place.
    Il mourut.
    Des morts sans raison et des vivants protégés sans cause, il était le seul à ne pas être innocent.

    Henri Lhéritier

    http://l.archipel.contre-attaque.over-blog.fr/tag/henri%20lheritier/

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